Nous avons un problème avec le social « ordinaire ». Nous le préférons volcanique, avec un penchant pour les moments convulsifs où les citoyens se dressent contre les pouvoirs, répétant la scène de 1789 ou 1848. Et de ces épisodes flamboyants, on pourrait conclure que notre vie sociale est tonique.
Ce serait oublier que les accès de fièvre sont rarement signes de bonne santé, surtout lorsqu'ils deviennent chroniques.
La vérité est que le social ne va pas très bien. Et cela, parce qu'il ne parvient pas à relever trois défis majeurs.
Le premier est celui de l'unité syndicale. Elle a, certes, fait de notables progrès dans le conflit des retraites, mais sans remise en cause de l'éparpillement d'organisations dont la faiblesse nous place au dernier rang des pays de l'OCDE. Il ne se passera rien de sérieux dans le domaine de la gestion des grands dossiers de l'heure, tant que l'unité organique du monde du travail ne sera pas réalisée autour de deux pôles fédérateurs. N'oublions pas que si l'État s'est saisi du dossier des retraites, c'est par suite de l'impuissance des partenaires sociaux à boucler une négociation qui était, de plein droit, de leur compétence.
D'où vient cette impuissance, sinon des rivalités entre organisations dont aucune n'ose se risquer aux compromis pourtant nécessaires ? Le premier qui cède est mort ou mis à mal. La CFDT en a fait l'amère expérience en 2003. Et lorsque l'État prend le relais, le même scénario se reproduit, la question n'étant pas de travailler à la solution la moins mauvaise, mais de se montrer prudent par crainte de l'accusation de trahison. Les pouvoirs publics savent jouer à merveille de cette concurrence. Le poids des appareils retarde cette indispensable unité. Jusqu'à quand ? Faudra-t-il, comme l'envisageait Pierre Rosanvallon, atteindre les 2 % de salariés syndiqués pour que le sursaut se produise enfin ?
Le second défi est lié. C'est celui de la durée. À quoi bon mettre le social en ébullition durant trois semaines, si c'est ensuite pour le voir se refroidir et entrer en hibernation prolongée ? Ce scénario n'est pas certain. Il est plausible. Or la question est bien : comment mobiliser les énergies et la créativité intellectuelle dans la durée, pour affronter au mieux, dans un esprit constructif, les épreuves de l'avenir proche ?
Enfin, défi des défis : comment retisser le social dans une société de plus en plus émiettée entre des individus guère disposés à sacrifier leur autonomie à l'action de masse ? La question est urgente, estiment Touraine et Gauchet dans leurs dernières analyses (1). Un vieux problème qui a dominé le XIXe siècle et qui a fini par trouver sa réponse au XXe, dans la démocratie sociale fondée sur l'organisation collective. Mais, aujourd'hui, cette démocratie sociale tend à se réduire à la défense des droits individuels. C'est l'effacement du « Un pour tous », devise d'une citoyenneté sociale à réinventer selon des modèles nouveaux, déjà expérimentés dans l'économie sociale et solidaire (2).
Face au retour en force de la « question sociale » qui déborde l'avenir des retraites et s'élargit au thème du travail et de son partage, quelle sera la réponse du social ? L'interrogation demeure.
(1) Après crise, Seuil ; et L'avènement de la démocratie, tome III, Gallimard.
(2) Lire Jean-Louis Laville, Politiques de l'association, Seuil.
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