vendredi 12 novembre 2010
L'inquiétante montée en puissance de l'armée chinoise
Au printemps dernier l'amiral Robert Willard, commandant en chef des forces américaines du Pacifique après avoir commandé l'US Navy dans la région, s'inquiétait, devant une commission du Congrès américain, de la montée en puissance, militaire et navale, de la Chine. Ce qui préoccupe le haut commandement, c'est la modernisation de l'armée chinoise, « apparemment destinée à limiter la liberté de manoeuvre des Etats-Unis, voire à exercer une politique agressive ou coercitive avec ses voisins ».
Certes, le président Barack Obama l'a dit et redit : les Etats-Unis et la Chine ne doivent pas être « nécessairement des adversaires », en dépit de relations parfois tendues à propos de Taiwan, du Japon, de la Corée du Sud, voire sur la question du Tibet. Mais la menace évoquée par l'amiral Willard semble néanmoins bien réelle aux yeux de nombreux experts américains.
C'est que les sujets d'inquiétude de l'Amérique et de ses alliés ne manquent pas. Le premier est l'absence de transparence dans laquelle s'effectue la très rapide modernisation de l'armée et, surtout, de la marine chinoises. Avec le risque que cette opacité ne conduise à « des malentendus ou des mauvais calculs », comme le soulignait récemment le rapport annuel de 2010 du département américain de la Défense au Congrès sur les questions militaires et de sécurité de la Chine.
Le dernier incident en mer de Chine orientale avec le Japon au large des côtes des îles Senkaku, revendiquées par les deux pays, participe de cette menace d'incompréhension réciproque. Certes depuis septembre et la libération des marins d'un chalutier chinois arraisonné alors qu'il fonçait dans des navires japonais garde-côtes, les tensions diplomatiques entre Pékin et Tokyo se sont quelque peu apaisées. Mais le sommet de l'Asean, l'association des nations du Sud-Est asiatique, qui s'est tenu à Hanoi à la fin octobre, avant celui du G20 à Séoul depuis hier, n'a pas permis totalement de les faire disparaître. La présence de gisements de gaz en mer de Chine orientale, même relativement petits, ne facilite pas non plus le règlement des tensions. Et ce ne sont pas les seules dans la région. La mer de Chine méridionale joue également un rôle important puisque c'est par elle que transitent plus de 80 % du pétrole brut vers le Japon, la Corée du Sud, et Taiwan.
Du côté indien, les sources potentielles de conflits sont tout aussi présentes. Dans la revue « Foreign Affairs » du printemps 2009, Robert Kaplan, du think tank américain Center for a New American Security, estimait que l'océan Indien pourrait devenir, comme le furent au siècle dernier les océans Atlantique et Pacifique, l'épicentre des tensions mondiales du XXI e siècle comme tend à le montrer la rivalité de plus en plus vive entre la Chine et l'Inde.
Mais le principal sujet d'inquiétude reste évidemment la question de Taiwan, considéré par Pékin comme une province de la République populaire de Chine, la « ligne rouge » absolue à ne pas franchir. En dépit de signes récents de détente, il ne faut pas s'y tromper : la Chine continentale continue son renforcement militaire en face de l'île. Avec comme objectif d'empêcher toute velléité d'indépendance de Taiwan, voire de contrecarrer tout projet d'un soutien militaire des Etats-Unis en cas de conflit ouvert. Au cours des dernières années, la supériorité militaire de Pékin s'est en outre très nettement renforcée alors que Taiwan a réduit ses capacités militaires.
Il est vrai que le changement géopolitique pour ce qui est devenu la deuxième puissance économique mondiale du monde contemporain est immense. L'armée populaire de libération est aujourd'hui capable de projeter des forces bien au-delà de la région immédiate de la République populaire. Washington se félicitait d'ailleurs récemment du fait que Pékin s'est associé à des missions de maintien de la paix ou de lutte contre la piraterie. Ainsi, depuis 2008 la marine chinoise patrouille dans le golfe d'Aden avec trois frégates et un navire ravitailleur. Cette présence au large de la Somalie permet désormais à la Chine de montrer non seulement ses capacités à se déployer mais aussi à cosurveiller les routes maritimes, essentielles pour les hydrocarbures.
Ce qui a surpris nombre d'analystes, c'est la rapidité du développement de cette force navale, au-delà même de l'armée de terre traditionnelle et de ses 1,2 million de soldats, dont environ 400.000 déployés dans les trois régions militaires sur le continent situées en face de l'île de Taiwan ou encore du renforcement des capacités nucléaires.
D'après les estimations du Pentagone, les forces navales chinoises seraient composées aujourd'hui de quelque 75 bâtiments « principaux » de combat, de plus de 60 sous-marins, de 55 embarcations de débarquement et d'environ 85 patrouilleurs. La Chine souhaite développer en outre rapidement des porte-avions dans ses chantiers.
Certes, aux yeux des militaires américains, elle a encore une capacité relativement limitée par rapport à l'Amérique. Mais Pékin a annoncé au printemps dernier une augmentation de 7,5 % de son budget de défense pour le porter à 78,6 milliards de dollars. Ce qui est encore loin des plus de 540 milliards de dollars du budget américain. Mais le taux d'augmentation, d'après le Pentagone, a été en moyenne de 11,8 % par an entre 2000 et 2009, soit au-dessus de la croissance économique chinoise (9,6 %) sur cette période.
Ce qui est vraisemblablement la preuve même de la volonté de la Chine de s'affirmer comme une grande puissance. Cet objectif, qui rompt avec des décennies de défense du territoire, suscite de très nombreuses interrogations. Même si Pékin ne souhaite vraisemblablement pas remettre en question, aujourd'hui, la « pax americana », cette stabilité relative dans la région qui lui a permis aussi de se développer, ses dirigeants ont bel et bien entrepris de limiter la puissance navale américaine…
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