S'il fallait ne garder qu'un épisode de cette frénétique saison électorale, ce serait celui-là, ce formidable combat qui s'est déroulé dans un décor de western au fin fond du Nevada. Search-light, 600 habitants, quelques ruelles goudronnées qui s'évanouissent dans la piste et les cactus. Le désert de Mojave est à 15 km à l'ouest. La Vallée de la Mort un peu plus au nord, mais ne nous égarons pas.
Searchlight a connu son heure de gloire dans les années 1910, et Scott Joplin lui a dédié un morceau de ragtime. Quand Harry Reid y est né, le 2 décembre 1939, le bourg ne comptait déjà plus que quelques mines d'or. Mais encore 13 établissements de prostitution, dont le célèbre El Rey Bordello, qui possédait une piscine où les enfants venaient apprendre à nager. La mère d'Harry Reid y lavait le linge. L'endroit est aujourd'hui le motel El Rey. Et Harry Reid, le chef de la majorité démocrate au Sénat. Autrement dit l'homme le plus puissant de Washington, avec le président. Encore un qui a bien mérité du rêve américain.
A part la maison du sénateur et l'école élémentaire Harry Reid, on voit surtout des trailers à Searchlight, ces préfabriqués en forme de caravanes que les Américains traînent là où les mène leur éternel roadtrip. Au Nugget, le casino-restaurant, les serveuses portent des chaussettes décorées de chauves-souris qui montent jusqu'aux genoux (pour souligner la proximité d'Halloween). Menu : soupe maison et bandits manchots. Depuis que 20 000 militants du Tea Party - Sarah Palin en tête - sont venus manifester en mars, la patronne Verlie Doing a vu passer des touristes de toute la Terre. Un conseil : n'y allez pas le jeudi. On ne peut pas la déranger. A 86 ans, elle "fait ses fiches de paie".
Searchlight est devenu l'emblème du combat entre les démocrates et le Tea Party, l'une des grandes affiches de ces élections de mi-mandat : Harry Reid contre Sharron Angle, une grand-mère fouettarde qui ne craint pas de faire campagne avec son pistolet à la ceinture. Les républicains ont beaucoup investi pour faire tomber le chef de la majorité au Sénat. Ils espéraient frapper les esprits, comme en 1994, lorsque les amis de Newt Gingrich ont défait Tom Foley, le speaker de la Chambre. Ou en 2004, Tom Daschle, le prédécesseur d'Harry Reid au Sénat.
A bientôt 71 ans, Reid est sec comme une planche et il déteste le gras - un jour que George Bush le recevait à la Maison Blanche, il a vu entrer Barney, le terrier écossais : "Votre chien est gros", a-t-il aimablement constaté. Il a écrit une histoire de Searchlight, "le camp qui n'est pas tombé". Sa prose est aussi aride que l'endroit. L'émotion est cachée dans quelques pages de son autobiographie (écrite avec une plume du magazine Esquire). Alors qu'il venait de remporter sa première élection, son père s'est tiré une balle dans la tête. Il était chercheur d'or. "Le jour où il s'est arrêté de boire, il s'est suicidé." Pendant vingt-cinq ans, Harry Reid n'a pas réussi à en parler.
Harry Reid a toujours été bagarreur. Tout nouveau venu à l'école pouvait s'attendre à une raclée. A 14 ans, il s'est battu avec son père - qui avait une fois de plus porté la main sur sa mère. Cinq ans plus tard, avec son futur beau-père - qui ne voulait pas lui donner la main de sa fille. Harry a quand même épousé Landra. Elle était juive. Ils sont devenus mormons. Grâce à l'un de ses professeurs (Mike O'Callaghan, un futur gouverneur du Nevada), qui a sollicité des hommes d'affaires pour lui payer des études, Harry Reid a pu aller à l'université dans l'Utah - il a ensuite financé ses études de droit à Washington en travaillant à la police du Capitole. Et il s'est mis à la boxe. Son surnom sur le ring : "Harry give'em hell". Fais-en leur baver, Harry !
Des années plus tard, alors qu'il était président de la commission de supervision des casinos de Las Vegas, un semi-imprésario semi-voyou a essayé de lui offrir 12 000 dollars en échange de faveurs. Il a appelé le FBI, monté un guet-apens, et l'individu a fini en prison (après quoi Landra Reid a trouvé un explosif sous sa voiture).
Reid a la voix inaudible et toujours l'air de grommeler quelque chose. C'est souvent une gaffe. Vu son élocution, les talk-shows politiques du dimanche matin ne se bousculent pas pour l'inviter. "Il aime le désert", explique Jane Overy, du Musée de Searchlight. Le soir du vote de la réforme de la santé, 24 décembre 2009, il s'est trompé et il a voté contre le texte. Un acte manqué, pourrait-on dire, parce que, dans le Nevada, les 2 000 pages du texte ne jouissent pas d'une grande popularité.
Sharron Angle s'est révélée une adversaire coriace, mais Harry Reid a cogné comme un sourd. Il a remobilisé les Latinos (qui ont voté en plus grand nombre encore qu'en 2008). Inauguré un projet chinois d'éoliennes. Rappelé qu'il avait canalisé des millions de dollars en aide fédérale et arraché au président l'arrêt du projet de stockage de déchets nucléaires sur Yucca Mountain... Sharron Angle n'a promis ni jobs, ni subventions fédérales, ni ministère de l'éducation, ni retraite... autant dire le retour au Wild West. Et Harry Reid, qui n'avait gagné en 2004 qu'avec 500 voix d'écart, a mis 30 000 voix dans les gencives de l'adversaire. Prends-ça, Tea Party !
mercredi 3 novembre 2010
Dans les gencives du Tea Party
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire