LE FIGARO. - Comment avez-vous réagi à l'entrée de LVMH au capital d'Hermès révélée il y a dix jours ?
Patrick THOMAS. - Cela a été une grande surprise. LVMH a annoncé d'un seul coup une prise de participation de 17 % en la qualifiant d'«amicale». Cette arrivée n'a rien d'amical. Elle n'a été ni désirée ni sollicitée. Il n'y avait de menace d'aucun fonds d'investissement, d'industriel du luxe ou de groupe chinois cherchant à acheter des actions Hermès, comme LVMH l'a prétendu.
Bertrand PUECH. - Surprise et déplaisir. J'ai reçu le coup de téléphone de M. Arnault à 9 h 45 alors que j'allais prendre un train et son communiqué est parti à midi.
Que vous a-t-il dit ?
B. P. - Il m'a dit que des actions se vendaient, qu'il en avait acheté pour 14,2 %, qu'il allait augmenter sa participation et que c'était tout à fait amical, qu'il ne nous demandait pas de siège au conseil de surveillance.
Vous êtes-vous rencontrés ?
B. P. - Oui, le lundi suivant. Cela a été une rencontre courtoise et franche.
P. T. - Nous lui avons dit que nous ne considérions pas cette intervention comme amicale.
Comment comptez-vous travailler avec celui qui est désormais votre premier actionnaire individuel ?
P. T. - Le fait qu'un actionnaire ait 17 % de notre capital ne modifiera pas la culture et la façon de travailler de cette maison. Hermès n'a absolument pas besoin d'aide, de soutien ou de tuteur, contrairement à ce que pense M. Arnault. D'ailleurs, si vous regardez les performances depuis notre entrée en Bourse en 1993, la croissance annuelle du bénéfice net de LVMH a été de 7,6 %, celle d'Hermès de 14,7 %. En Bourse, l'action LVMH a été multipliée par six, celle d'Hermès par 35. Si quelqu'un a besoin d'aide, ce serait plutôt dans l'autre sens. Hermès va très bien, mieux que LVMH, et Hermès est verrouillée.
Les moyens d'acquisition de ces 17 % vous semblent-ils conformes à la réglementation ?
P. T. - Nous nous posons énormément de questions. Il existe une réglementation boursière qui a notamment pour objet de protéger les actionnaires minoritaires. Or un groupe est capable de prendre, via des produits financiers, 17 %, soit les deux tiers du flottant, sans signaler aucun franchissement de seuil. On ne peut que s'interroger. Quand on voit les structures qui ont permis de mener cette attaque, on constate qu'il s'agit de filiales de LVMH basées au Luxembourg, aux États-Unis et surtout au Panama, qui n'est pas le pays le plus transparent en termes de régulation financière et d'origine des fonds. Hermès ne peut faire qu'une chose, c'est faire confiance à l'Autorité des marchés financiers qui doit dire si l'opération est conforme à la réglementation ou pas.
Que pensez-vous que Bernard Arnault vienne faire chez vous ?
P. T. - Bernard Arnault n'a jamais caché son intérêt pour Hermès. C'est ça le sujet, le reste, c'est de la technique. Or la maison Hermès, ce n'est pas une société, ce n'est pas qu'une signature, c'est un terreau culturel dans lequel poussent chaque saison les fleurs de la créativité. C'est un héritage formidable, une culture artisanale, une tradition de respect des hommes et des matières, une chimie très complexe. Cette culture est difficilement compatible avec celle d'un grand groupe. Ce n'est pas un combat financier, c'est un combat de cultures. Évidemment on pourrait doubler les bénéfices d'Hermès en cinq ans, mais Hermès en mourrait à petit feu.
B. P. - Nous sommes des artisans, notre but est de faire des produits les meilleurs du monde. Nous ne sommes pas dans le luxe, nous sommes dans la qualité.
Redoutez-vous une montée de LVMH au capital, voire une prise de contrôle ultérieure ?
P. T . - Il est très probable qu'il monte au capital, je ne connais pas ses intentions. Mais la famille Hermès est extrêmement soudée et décidée à garder le contrôle par sa commandite, qui a été créée pour protéger la maison contre l'éventualité de ce qui se passe aujourd'hui et surtout pour protéger la culture de ce joyau construit depuis six générations.
Quelle part du capital les familles héritières détiennent-elles aujourd'hui ?
P.T. - À la dernière assemblée générale, en mai, c'était 73 %. Ce chiffre évolue légèrement en permanence car certains vendent des parts, d'autres en achètent.
Certains ont-ils vendu récemment des actions ?
B. P. - Rien de significatif, et rien à M. Arnault. Si quelqu'un a vendu à M. Arnault, c'est indirectement, sans le savoir. Il a sûrement fait des approches amicales mais personne ne lui a cédé d'actions.
Certains héritiers ne pourraient-ils pas être tentés de vendre alors que le cours de l'action atteint des niveaux historiques ?
B.P. - Non. Vendre pour investir dans quoi ? Nous savons que ce qu'il y a de mieux, c'est Hermès. L'action valait 5 euros à l'introduction en Bourse, elle a atteint 200 euros la semaine dernière.
Êtes-vous liés par des pactes d'actionnaires ?
B.P. - Nous avons une série de pactes. Et notre meilleure défense, c'est la commandite : même s'il ne restait qu'un actionnaire familial, il conserverait le contrôle.
Le décès en mai de l'ancien dirigeant Jean-Louis Dumas, présenté comme le fédérateur de l'unité familiale, l'a-t-il fragilisée ?
B.P. - Non. Jean-Louis Dumas était malade depuis plusieurs années et n'est plus intervenu depuis 2006. Il a cimenté la famille. Tout ce qu'il a fait, il l'a fait parce que la famille était là.
Hermès peut-elle rester une entreprise familiale indépendante à la sixième génération ?
B.P. - À la sixième génération, sans aucun doute, et à la septième aussi, j'ai la certitude qu'ils ont cette vision. Les générations passent, Hermès reste.
Qui succédera à Patrick Thomas et quand ?
B.P. - Il n'est pas prévu de remplacer M. Thomas.
P.T. - Je suis là pour servir la maison, tout ce que je ferai, je le ferai pour elle.
Pensez-vous que Bernard Arnault aura un jour le contrôle d'Hermès ?
B.P. - Je ne le crois pas. Nous avons été submergés de messages affectueux de soutien. Je pense que M. Arnault a lancé une bataille financière qui passe à côté de nous. C'est un grand financier mais il n'a pas connu que des succès. Nous voulons être très courtois. La famille le dit clairement et à l'unanimité : «Si vous voulez être amical, Monsieur Arnault, il faut vous retirer».
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