Le débat sur la place des Roms dans nos sociétés post-modernes n'est pas près de finir parce qu'il s'est emparé d'un clivage majeur, la différence entre nomades et sédentaires.
Le drame de beaucoup de Roms est qu'ils sont perçus comme nomades, quand bien même ils ont depuis longtemps dételé la caravane. L'imaginaire a tendance à voir en tout "bohémien" un nomade, ce que perpétue l'appellation fourre-tout de "gens du voyage". Du nomade, on glisse avec plus ou moins de mauvaise foi à l'errant, quand ce n'est pas au vagabond, catégories qui ont le don d'affoler le sédentaire. A partir de là, les malentendus sont multiples.
Pourtant même les plus nomades des Tziganes ou des Manouches ne se déplacent pas de façon aléatoire. Leur itinérance est autant un mode de vie qu'un impératif économique, ce qu'on vérifie aisément chez les forains ou les familles du cirque, dont les tournées sont parfaitement prévisibles. Quand on aura compris cela, un grand pas aura été franchi.
Le mode de vie des Roms tel qu'il est conté dans les vieilles chroniques explique l'ambivalence des sentiments qu'il suscite, entre fascination romantique et anxiété face à des clans perçus comme étranges. Il renvoie à des rêves d'indianité, avec la fraternité du bivouac, la lueur rassurante du feu de bois et les désirs de nuits à la belle étoile. C'est ainsi que les Roms soulignent et concentrent toutes nos contradictions.
Voilà des groupes sociaux qui se montrent imperméables aux effets de la mondialisation. Ce qui, dans un autre contexte, ne manquerait pas de déclencher des concerts de louanges devient matière à reproches : cette imperméabilité est perçue comme trop parfaite, trop efficace car elle n'installe que des points de contacts superficiels avec le reste de la société (qui, à vrai dire, s'en trouve fort bien).
Tout prête à confusion, à commencer par la tradition de la mendicité : elle est dénoncée, stigmatisée et vilipendée par les sédentaires alors que, vue sous un angle technique, elle peut être regardée comme une façon de n'avoir avec les gadjé (non-Tsiganes) que les contacts les plus brefs possibles.
Le Tsigane est unique en son genre. C'est sa force en même temps que sa faiblesse. Il suscite des réactions catégoriques : il fascine ou il choque, il séduit ou il inquiète. Mais les siècles qui passent semblent avoir moins de prise sur lui que sur nous. Au nom de la biodiversité, qui devrait s'attacher aux peuples au moins autant qu'aux cactus ou aux papillons, on devrait saluer cette performance si solidement perpétuée.
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