vendredi 8 octobre 2010
Dimanche dernier, dans l'émission « L'Esprit public » de France Culture, Jean-Louis Bourlanges relevait que la publication concomitante de nombreux livres sur la débâcle de juin 1940 illustrait l'état d'esprit de la période actuelle : le pays est dans une drôle d'attente, dans le mauvais pressentiment d'un proche et véritable effondrement. Il me semble que cette intuition de l'ancien député européen est mille fois juste. Les grèves contre la réforme des retraites ne sont que la crispation égoïste, corporatiste, du malaise général juste avant la débâcle.
La France a du mal avec la mondialisation. Elle en souffre dans ses gènes, dans son histoire, dans sa prépondérance pour la politique quand l'économie prend le dessus, elle voit l'Asie monter, le Brésil, elle sent venir un déclin inéluctable. Et elle sait que ses mécanismes de défense, ses « protections sociales », datent de la guerre d'avant. Elle le sait intimement mais feint encore de l'ignorer, d'où le malaise. Différence avec juin 1940 où tout fut perdu en cinq semaines, ici voilà vingt ans que la France endure, qu'elle tente de « résister » à la déferlante, mais elle voit ses bataillons défaits les uns après les autres. L'emploi devient précaire, les remboursements de la Sécu sont de plus en plus chiches, les retraites seront méchamment en baisse. Chaque Français est schizophrène : il sait que c'est la fin d'une époque, qu'il faut changer mais, sans y croire vraiment, il s'empresse de se rassurer auprès des « sauveurs » opportunistes qui lui vantent qu'il y a « une autre solution », qui lui désignent des boucs émissaires, les immigrés, les Roms ou les riches, c'est selon.
Face à la guerre économique d'aujourd'hui - appelons-la « guerre chinoise » -, notre armée, qui porte le nom de système social ou d'Etat providence, est enfoncée. L'armée nouvelle, les chars d'aujourd'hui, on sait pertinemment ce qu'ils sont. Il faut tout faire pour créer des emplois de haute qualification, faire un effort gigantesque de recherche-développement, donner toute souplesse aux entreprises, encourager les innovateurs et les créateurs, mettre en place un plan national de formation permanente, rebâtir complètement, le système éducatif pour l'inverser, le problème n'étant plus de former des élites qui se débrouillent toutes seules mais de donner un bagage aux laissés-pour-compte. En parallèle, il faut mener une politique macroéconomique de « fine tuning » pour la sortie de crise mais fondamentalement rigoureuse et surtout qui permette de rattraper la perte de compétitivité terrifiante accumulée avec l'Allemagne. Tout cela est connu, il y a eu mille rapports là-dessus depuis celui de Michel Camdessus (« Le sursaut », 2004). Pour reprendre la comparaison avec les chars du colonel de Gaulle, il faut cesser de croire que la défense statique est la bonne et mettre le pays en mouvement, le faire courir vite en avant, très vite, pour que les Chinois ne le rattrapent pas. Encore une fois, tout cela est connu, on sait ce qu'il faut faire.
Mais non. Le pouvoir politique tergiverse, il attend, il fait des réformettes, avance pour reculer, comme Nicolas Sarkozy sur les retraites. Pourquoi ? Pourquoi la France est-elle « irréformable » ? A cause du mensonge, du déni de réalité. A gauche comme à droite, la guerre chinoise est niée. Le président actuel est toujours incapable de reconnaître publiquement que sa politique est de l'austérité. Que ses promesses de pouvoir d'achat n'ont plus cours. Il se ment à lui-même, il ment aux Français. A gauche, c'est pareil ou pire : on vante « une autre politique » que l'on sait pertinemment vide. Seule l'extrême gauche croit encore aux futilités de la « résistance » sur la ligne Maginot, mais tous les autres partis sont sous son influence, sous pression des manifs, et tous entretiennent l'illusion.
Dans « La Société de défiance », Pierre Cahuc et Yann Algan font une révélation passionnante : les Français sont caractérisés parmi les autres peuples, par leur défiance la plus grande vis-à-vis des institutions, des pouvoirs mais aussi les uns vis-à-vis des autres (1). Et cette défiance est datée dans l'histoire du pays, elle remonte à… juin 1940. La débâcle. Sarkozy, Aubry et les autres : est-ce mensonge, calcul électoral ou ignorance du monde ? On ne sait. Mais pour rester sur 1940, quelle différence avec l'Angleterre ! Outre-Manche, l'âpreté du combat est expliquée, assumée. Et les Britanniques ont confiance, dans les mesures churchiliennes que le gouvernement leur impose et en eux-mêmes.
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