jeudi 14 octobre 2010
Pour remplacer Fillon, Sarkozy remonte le temps
L'histoire est toujours de bon conseil pour le tacticien politique qui se projette dans l'avenir. Nicolas Sarkozy en est convaincu, qui prépare sa reconquête élyséenne en revisitant régulièrement le passé et en scrutant erreurs et succès de ses prédécesseurs. Il l'a fait en 2007 en choisissant de nommer à Matignon un homme - François Fillon -dont il pensait qu'il lui ferait peu d'ombre. Ce qu'avait théorisé Georges Pompidou après ses différends avec Jacques Chaban-Delmas : « Les futurs présidents de la République seront conduits à choisir comme Premiers ministres des hommes dont ils n'aient jamais à redouter, je ne dis pas l'indépendance de pensée et d'expression -ce qui est essentiel -, mais la concurrence. » (1) Pour ses Premiers ministres de début de mandat, seul Jacques Chirac s'était avant lui rangé à ce conseil, en choisissant Alain Juppé lors de son accession à l'Elysée en 1995 et Jean-Pierre Raffarin après sa réélection en 2002. Comme Georges Pompidou avec Jacques Chaban-Delmas, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand avaient plutôt misé sur une personnalité susceptible d'élargir leur majorité et de prouver leur souci d'ouverture -pour le regretter souvent : Jacques Chirac pour VGE en 1974 ; Pierre Mauroy (1981) et Michel Rocard (1988) pour François Mitterrand. Pour ces deux présidents, la « sagesse » pompidolienne n'est intervenue qu'ensuite : les Premiers ministres qui ont suivi ont été des fidèles.
Sur les conseils répétés d'Alain Minc, Nicolas Sarkozy a, semble-t-il, tiré un autre enseignement de la V e République : il ne devrait pas réitérer le choix fait par Valéry Giscard d'Estaing de conserver son Premier ministre (en l'occurrence Raymond Barre) lors de sa campagne pour sa réélection. Celui-ci l'avait payé cher face à François Mitterrand en 1981. A quelques semaines du remaniement gouvernemental annoncé, François Fillon lui-même semble avoir pris acte de son départ. Ouvrant une période un peu étrange, d'inspiration cette fois mitterrandienne, où Nicolas Sarkozy, silencieux sur ses intentions, laisse la cour des « matignonables » jouer des coudes et étaler ses prétentions dans la presse.
Nettement plus délicate est la tentative de dresser un portrait idéal de Premier ministre à partir du passé. L'exercice risque même de se révéler désespérant pour tout président à la recherche d'un « nouvel élan ». En règle générale, la nomination d'un nouvel hôte de Matignon n'a que très peu d'effet dopant sur la popularité du chef de l'Etat, sauf… en cas de cohabitation (et dans ces cas-là, l'effet est spectaculaire). Elle peut en revanche jouer un rôle d'accélérateur négatif. La cote de François Mitterrand oscillait entre 55 % et 60 % d'opinions favorables (TNS-Sofres) avant de tomber à 31 % dans les mois qui suivirent la nomination d'Edith Cresson en mai 1991. Trois Premiers ministres ont au mieux réussi à retarder de quelques mois la chute de leur président, Raymond Barre (nommé en avril 1978 par VGE), Laurent Fabius (par François Mitterrand en juillet 1984) et Pierre Bérégovoy (en avril 1992). Mais les deux seuls présidents qui ont été réélus au terme d'un mandat (François Mitterrand et Jacques Chirac) l'ont été après une période de cohabitation. En temps normal, un Premier ministre ne peut faire figure de miracle.
Ses échecs peuvent en revanche s'avérer instructifs. Les difficultés de Raymond Barre à la fin du quinquennat Giscard, d'Edith Cresson sous Mitterrand et de Dominique de Villepin sous Chirac ont inscrit dans le marbre politique l'importance d'un Premier ministre maître de la majorité parlementaire et rompu aux arcanes du Parlement. Faute d'avoir cette connaissance, Christine Lagarde s'est elle-même, il y a quelques semaines, retirée de la course pour Matignon.
Est-ce parce que François Mitterrand s'est trop abîmé dans sa relation avec Michel Rocard que Nicolas Sarkozy semble également très attentif à sa proximité avec son Premier ministre ? Pour son deuxième Premier ministre, comme pour son premier, le président de la République ne semble pas disposé à nommer un rival potentiel. Dans le jeu des rumeurs actuelles, Jean-François Copé, figure pourtant incontournable de la majorité, est rarement cité. La confiance est trop fragile. Nicolas Sarkozy ne semble pas disposé à faire avec Copé ce que Jacques Chirac n'a pas fait avec lui.
Mais confiance et compétence suffisent-elles ? C'est le principal dilemme qui se pose aujourd'hui à Nicolas Sarkozy. Dans la lignée rassurante d'un Alain Juppé (premier mandat Chirac) ou d'un Pierre Bérégovoy (deuxième mandat Mitterrand), le chef de l'Etat dispose de plusieurs personnalités susceptibles de tenir la maison Matignon pendant que lui-même se consacrerait à la campagne. Michèle Alliot-Marie, ministre de manière ininterrompue depuis 2009, est de celles-là, de même que Brice Hortefeux, fidèle d'entre les fidèles, et Luc Chatel qui a fait un quasi sans-faute depuis 2007.
Et pourtant, le président de la République semble chercher davantage, un Premier ministre à cinq pattes qui aurait le « plus » politique d'un Mauroy, la modernité d'un Fabius (mais pas sa popularité), voire la personnalité détonante d'un... Villepin (sans Clearstream et sans le CPE). François Baroin - et Bruno Le Maire, dans une moindre mesure parce qu'il est plus « neuf » en politique -réunit plusieurs de leurs qualités, « quadra » dynamique, bon connaisseur de l'Etat et porteur d'une image de réconciliation avec les chiraquiens. Jean-Louis Borloo aussi, ministre éprouvé et pourtant hors norme, grâce auquel Nicolas Sarkozy pourrait espérer conquérir l'électorat du centre. Avec un risque et une inconnue. Le risque que comporte le choix de l'originalité pour Matignon : la V e République n'a pas été tendre avec les personnalités iconoclastes.
L'inconnue surtout, qui consiste à tenter de capter, via son Premier ministre, un électorat nouveau. Et à émettre de la tête de l'Etat une sorte de double signal politique à l'adresse des futurs électeurs de 2012 : Nicolas Sarkozy empêchant les sympathisants de répondre aux sirènes de Marine Le Pen, Jean-Louis Borloo évitant une hémorragie du centre vers le PS (surtout si DSK est candidat), Bayrou, Villepin ou les Verts. Sur ce type de tentatives, l'histoire est muette.
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