TOUT EST DIT

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jeudi 14 octobre 2010

Les illusions du
« made in France »


Le Premier ministre a présenté les grandes orientations du programme de reconquête du marché intérieur […] [qui] soutiendra les projets valorisant les ressources et faisant appel aux qualifications nationales. » Nous sommes le 2 décembre 1981. Vingt-huit ans et une désinflation compétitive plus tard, on peut lire sur le site du gouvernement qu' « il est important d'inciter les producteurs à être plus responsables et transparents sur l'origine géographique des produits qu'ils vendent » et qu'il entend promouvoir le marquage « made in France ».
Quand l'industrie va mal, l'excès d'importations est incriminé, en phase avec une opinion écrasante des Français. Selon une enquête Sofres réalisée du 30 au 31 mars dernier, seulement un Français sur dix considérait que la priorité des entreprises françaises était de résister à la concurrence internationale en produisant dans des localisations à bas coût. A l'inverse, 88 % des sondés répondaient que la priorité était de produire en France et que le rôle de l'Etat était d'encourager cela par des aides à la relocalisation et un label « made in France ».
L'origine des produits a plusieurs dimensions. Laissons de côté les produits ayant une origine géographique contrôlée ne représentant qu'une petite partie de notre consommation. Pour tout le reste, se pose avant tout une question de sécurité, de qualité, d'innocuité. Des normes sanitaires et techniques gèrent le commerce international de ces biens, et l'Europe est en ce domaine bien équipée ; le « made in France » n'apporte ici aucune garantie supplémentaire. La deuxième dimension est le coût de transport des produits et plus généralement le contenu carbone de notre consommation, malheureusement difficile à établir. La troisième dimension est sociale : les conditions de travail sont généralement moins bonnes dans les pays à bas coûts. Mais ici l'action la plus directe est d'imposer aux distributeurs une plus grande attention à ces aspects. Enfin, la dernière dimension concerne l'activité industrielle en France et l'emploi.
Le tout nouvel Observatoire du fabriqué en France a relevé que, en dix ans la part des produits fabriqués en France avait reculé dans le marché intérieur tandis que les producteurs français perdaient des parts de marché à l'exportation, de telle sorte que le rapport de la production à la consommation domestique s'était dégradé. En réalité, le problème est bien plus complexe, et cela n'a pas échappé au rapport Jego sous-titré « En finir avec la mondialisation anonyme ». Il se pourrait bien que les produits français ne soient pas français, qu'il y ait tromperie sur la marchandise en quelque sorte. L'Observatoire relève ici que, sur dix ans, la part des composants importés dans la production en France a augmenté aux dépens de la valeur ajoutée en France. Ce que l'Observatoire relève fort justement n'est ni nouveau ni isolé. Les résultats récemment présentés par la Commission américaine pour le commerce international (Usitc) montrent que, au niveau mondial et en moyenne, un peu plus de 20 % de la valeur des exportations revient à des importations intermédiaires. Le chiffre le plus élevé est celui du Mexique (50 %) et le plus bas celui de l'Europe (environ 15 %). Cette estimation intègre le fait qu'une partie de nos importations comprend… de la valeur ajoutée nationale, qui doit être décomptée.
En réalité, le problème est l'exportation. Dans la mesure où la France ne représente que 5 % du revenu - et donc de la demande -au niveau mondial, l'équation de l'emploi industriel est finalement fort complexe : comment convaincre les consommateurs étrangers d'acheter des produits fabriqués, au moins pour partie, en France ? De nombreuses marques françaises attestent d'un savoir-faire, d'une qualité, d'une innovation les rendant attractives sur les marchés les plus dynamiques. Plus généralement, c'est la qualité des produits et la capacité à les offrir dans des conditions compétitives qui sont gages de succès pour les économies à hauts revenus. N'oublions pas que le succès commercial allemand à l'exportation s'appuie sur une qualité ressentie élevée et sur l'importation croissante de composants en provenance de pays à plus bas coûts de salaires.
On se rappelle que, surfant avec humour sur l'opinion française, un constructeur automobile avait fait la promotion de ses véhicules en France avec le slogan « made in quality ». A défaut d'être grammaticalement correcte, cette formule résume l'orientation nécessaire de notre politique industrielle.

Lionel Fontagné est professeur à l'Ecole d'économie de Paris (université Paris-I) et membre du Cercle des économistes.

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