Toucher à l'approvisionnement des Français en essence : une méthode destinée à mettre fortement la pression sur le gouvernement pour qu'il revienne sur la réforme des retraites. Au-delà des consignes des directions nationales des syndicats, qui hésitent à s'engager dans une voie qui pourrait leur coûter le soutien de l'opinion alors que les files d'attente s'allongent déjà dans les stations-service, les sections locales paraissent décidées à jouer de cette carte maîtresse.
"On va vers un blocage du pays, je vous le garantis, et ce sera la faute du gouvernement, qui n'a pas voulu discuter de la réforme avec les syndicats !" s'emporte Charles Foulard, de la CGT-Total et membre de la coordination du mouvement de grève sur le port de Marseille-Fos.
Car derrière la réforme des retraites, dockers et salariés des raffineries sont tous fortement inquiets pour l'avenir de leurs filiales respectives. Les premiers sont engagés dans un long bras de fer pour lutter contre la réforme portuaire, les seconds voient s'assombrir depuis des mois les perspectives des activités pétrolières en France, symbolisées par les turpitudes entourant l'avenir de la raffinerie Total de Dunkerque. Et pour tous, le projet de loi sur les retraites "est le bouchon qu'a fait sauter l'accumulation de la peur et des rancœurs, mêlant risques du chômage, conditions de travail et problèmes de salaires", résume-t-on à la Fédération Chimie Energie CFDT (FCE-CFDT).
LES APPROVISIONNEMENTS BLOQUÉS
Les syndicats hésitent à parler de coordination interprofessionnelle, mais les chiffres sont là : huit des douze raffineries françaises connaissent des procédures d'arrêt technique depuis le début de la semaine.
L'exemple le plus emblématique de cette "conjonction des luttes" concerne le port de Fos-Marseille, où des salariés bloquent depuis trois semaines les terminaux par lesquels transitent 40 % du pétrole brut importé en France. Ils entravent à eux seuls l'approvisionnement de la moitié des complexes pétroliers du pays : les pipelines reliant les quatre raffineries de l'étang de Berre, dans les Bouches-du-Rhône (Total, Esso, Lyondell-Basel et Ineos), celle de Total à Feyzin (près de Lyon) et celle de Petrolus à Reichstett (en Alsace), sont vides.
"A Reichstett, il n'y a eu qu'une heure de débrayage mardi [lors de la grève nationale]. Mais la raffinerie tourne actuellement au quart de sa capacité. Vendredi midi, tout s'arrêtera, car il n'y aura plus de brut", explique la FCE-CFDT, qui assure par ailleurs que les salariés ne sont pas mécontents que le mouvement "montre à quoi servent les raffineries, qui font tourner le pays mais dont tout le monde se fiche".
LE DRAPEAU DE LA PÉNURIE
Depuis mardi s'ajoute à cela, et pour les mêmes raisons, la grève reconductible engagée par les dockers de la Compagnie industrielle maritime du port du Havre. Ce dernier dessert trois raffineries de la Basse-Seine appartenant à Total, Esso et Petroplus : son blocage est, pour les syndicats, l'occasion d'agiter un peu plus le drapeau de la pénurie. Ces trois raffineries disposent cependant "des stocks pour fonctionner pendant encore deux semaines", commente Frédéric Plan, délégué général de la Fédération française des combustibles.
"De manière générale, les quelques problèmes actuels dans les stations-service viennent avant tout des mouvements de panique chez les consommateurs, qui se ruent sur les pompes en précaution. Mais autour de Marseille, les fournisseurs limitent également leur approvisionnement aux stations-service pour ne pas vider leurs dépôts de réserve trop rapidement", explique M. Plan. De quoi paralyser rapidement la France ? "On n'en est pas encore là, tempère-t-il en assurant que la situation est sérieuse, préoccupante, mais ne sera pas critique avant une dizaine de jours, dans le cadre d'un scénario catastrophe où rien ne bouge d'ici là."
Même son de cloche chez Jean-Louis Schilansky, de l'Union française des industries pétrolières : "La situation est sérieuse, mais c'est loin d'être la panique." Il précise cependant que le ministère de l'écologie et de l'énergie, avec qui il travaille tous les jours, est "préoccupé" et "surveille l'évolution de la situation sur toute la chaîne de production".
LES STOCKS STRATÉGIQUES EN QUESTION
Selon lui, les autorités décideront également "dans les prochains jours" de l'utilisation ou non des stocks stratégiques de sécurité, censés assurer quatre-vingt-dix jours de consommation en pétrole brut et/ou produits finis en France. Si ce dispositif de secours est mis en avant par l'Elysée pour désamorcer les craintes, il est également le signe que la situation est devenue problématique.
"En l'état actuel, les stations-service commenceront à être affectées la semaine prochaine, confirme Jean-Louis Schilansky. Les quatre raffineries qui continuent de fonctionner ne suffisent pas. A un moment ou un autre, il va bien falloir ouvrir les stocks de secours pouvant donner trois mois d'oxygène à tout le monde."
La Fédération Chimie Energie CFDT affirme de son côté que "les stocks de sécurité pour le pétrole brut sont déjà utilisés" : "Autour de l'étang de Berre, des salariés signalent que des approvisionnements arrivent de Manosque, où sont situés ces stocks." Contacté, le ministère de l'énergie a "formellement démenti" cette information, ne souhaitant pas commenter davantage le mouvement actuel de blocage des raffineries.
"De toute façon, s'il dégainent les stocks stratégiques à l'échelle nationale, les grévistes se mettront à bloquer en masse les dépôts de carburants : ça ne changera rien", commente-t-on à la FCE-CFDT, pour qui tout "ne fait que commencer".
jeudi 14 octobre 2010
Retraites : va-t-on vers une pénurie d'essence ?
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