Dans une Belgique idéale, tous les Wallons parleraient flamand. Et réciproquement. Or, il n'en est rien. Dans une Belgique écartelée et se résignant au divorce de ses deux principales communautés, une nouvelle frontière surgirait au coeur de l'Europe. Or, il n'en est pas question car la légitimité d'autres frontières serait inévitablement remise en cause. C'est entre ces deux extrêmes, l'union parfaite ou le divorce, que la vie politique belge se démène, comme elle peut, depuis toujours, depuis la naissance du Royaume, en 1830.
Longtemps, l'État unitaire, forgé sur le modèle français, a prévalu, au bénéfice d'une économie wallone plus développée. Depuis les années 1960 et le déclin industriel de la partie francophone, le rapport de forces s'est renversé. Donnant naissance à une authentique frontière linguistique. Accroissant le fossé culturel entre les deux communautés. Aiguisant les tensions politiques pour le gouvernement de la chose publique.
Dimanche, cette tension vient de toucher un nouveau sommet avec l'affirmation historique des séparatistes flamands aux élections anticipées. Bart de Wever, le leader de la Nouvelle Alliance flamande, a réussi une percée impressionnante auprès de l'électorat flamand. Il réclame haut et fort la mort de la Belgique, tout en plaisantant volontiers en usant de l'arme médiatique. Et il est tellement persuadé du caractère inexorable de cette issue fatale, qu'il se déclare prêt à un statut intermédiaire. Le processus de fédéralisation serait poussé au point de faire naître une confédération. Stade minimal du vivre ensemble.
Singulière, la crise belge nourrit, dans l'immédiat, un paradoxe. Le résultat de dimanche risque de déboucher sur le retour d'un Premier ministre wallon et socialiste, Elio di Rupo, pour la première fois depuis 1974. La Flandre a voté à droite, la Wallonie à gauche. La négociation, qui va porter inévitablement sur le degré de décentralisation demandé par la partie flamande, va exiger plus que jamais la pratique du grand écart.
Plus profondément, la victoire électorale du séparatisme confirme la poussée résurgente du nationalisme au coeur même de l'Europe. On a pu évoquer, ces derniers mois, l'affirmation de mouvements populistes ou d'extrême droite en Hongrie, en Slovaquie ou aux Pays-Bas. La Belgique de Bart de Wever concentre plusieurs tendances, puisqu'il manie le fédéralisme fiscal et le repli identitaire comme levier de rupture institutionnelle. Un peu comme la Ligue du Nord, en Italie, qui s'y exerce depuis plus de vingt ans, sans avoir, jusqu'ici, pu ébranler totalement le cadre unitaire.
Un peu partout en Europe, ce vent de crispation identitaire s'incarne selon les spécificités culturelles de chaque pays. Tous ces mouvements ont toutefois en commun de réaffirmer un attachement au droit du sol, qui ne manque pas de préoccuper.
L'écho de la crise belge est d'autant plus retentissant, que le royaume abrite les institutions européennes. Le 1er juillet, une Belgique sans gouvernement, et presque sans raison d'être, assumera la présidence tournante de l'Union Européenne. On se serait volontiers passé de ce signal de faiblesse. Le rôle de plus en plus obsolète de cette présidence tournante n'est qu'une maigre consolation.
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