TOUT EST DIT

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lundi 14 juin 2010

Les banques font-elles du chantage à la croissance ?

3 points de PIB et près de 10 millions d'emplois. C'est ce que coûterait l'application des nouvelles normes aux banques, à en croire l'Institut international de la finance. Mais les menaces du lobby bancaire sont-elles crédibles ?

La mise en place de Bâle III va coûter trois points de PIB à la croissance mondiale au cours des cinq prochaines années. Voilà la menace que l'Institut international de la finance a brandie dans un rapport publié la semaine dernière. A en croire le lobby bancaire, la réforme de l'arsenal réglementaire empêcherait la création de 9,73 millions d'emplois aux Etats-Unis, en Europe et au Japon d'ici à 2015. Rien que ça. Un avertissement redoutable alors que la reprise s'avère décevante, surtout en Europe, où, pour ne rien arranger, le financement de l'économie dépend à 74% du crédit bancaire.
Bâle III, une entrave aux profits des banques

Les banques ne se lassent pas de répéter à quel point ces nouvelles normes seront néfastes pour l'économie. Mais "c'est surtout pour leurs profits et bonus qu'elles seront nocives", rétorque l'économiste Jézabel Couppey-Soubeyran. Car l'un des objectifs de Bâle III est d'augmenter les fonds propres, la crise ayant révélé que de nombreuses banques n'étaient pas assez capitalisées pour pouvoir absorber les pertes subies. Or augmenter les fonds propres réduit mécaniquement le rendement, et donc les profits. Et "comme elles ne peuvent pas dire, «ça va diminuer notre rentabilité et nos retours sur investissement», elles ressortent le sempiternel «ça va diminuer le crédit», explique Felix Salmon sur son blog. "Les banques ont fait les simulations en retenant les scénarios les plus pessimistes pour arriver aux 0,6 point de croissance sacrifiés par an, poursuit Jézabel Couppey-Soubeyran. Cela fait partie du lobbying pour obtenir des assouplissements, au moins dans le calendrier, de l'application des normes." De fait, en dehors du milieu bancaire, les estimations sont moins alarmistes. Nout Wellink, le gouverneur de la Banque centrale néerlandaise et président du Comité de Bâle, estimait début mai que Bâle III devrait coûter entre 0,5 et 1 point de croissance du PIB sur les prochaines années.
Le crédit : variable d'ajustement ?

Faut-il prendre les menaces sur la distribution de crédit au sérieux ? En théorie non. Les nouvelles exigences de fonds propres s'appliquent surtout aux activités de marché et de titrisation, car ce sont ces métiers qui se sont avérés sévèrement sous-capitalisés pendant la crise. C'est donc dans la banque d'investissement qu'il va falloir doubler voire tripler le capital ou se résigner à réduire l'activité. Pas sûr toutefois que les banques acceptent de renoncer aux activités de marché, qui sont les plus rentables. Il est en effet probable qu'elles préfèrent faire du crédit la principale variable d'ajustement. Côté banques, on affirme ne pas avoir le choix: "le renforcement de l'exigence globale en capital revient in fine à relever dans les mêmes proportions les exigences spécifiques appliquées à chaque catégorie d'actifs. II est ainsi de nature à affecter l'ensemble des activités bancaires et à porter atteinte à la capacité des banques à financer l'économie", explique Céline Choulet, économiste à BNP Paribas. Si les nouvelles normes obligent les banques à lever d'ici 2012 jusqu'à 800 milliards de dollars en capital et 3700 milliards de dette, elles risquent donc de répercuter ces coûts sur le crédit, à la fois en terme de baisse de volumes et de renchérissement.
Rationaliser ou rationner le crédit ?

Mais serait-ce vraiment grave si les banques accordaient moins de prêts? Il ne faut pas oublier que la dernière crise résultait précisément d'un emballement du crédit. "Les banques n'étaient pas assez regardantes sur la solvabilité des emprunteurs, rappelle Jézabel Couppey-Soubeyran. Elles prêtaient à tout va puisqu'elles pouvaient se débarrasser du risque via la titrisation." Avec ces nouvelles contraintes, "les banques vont enfin retrouver un de leurs coeurs de métier : la sélection de risques", renchérit l'économiste Dominique Plihon. "Les banques vont parler de rationnement pour faire peur, mais il s'agit plutôt d'une rationalisation, ajoute Jézabel Couppey-Soubeyran. Sans compter que cela aura l'avantage de limiter la hausse des prix de l'immobilier".

En revanche, si les entreprises ont du mal à se financer auprès des banques, ce sera problématique pour la reprise. Et l'argument ne laisse pas indifférent dans le contexte actuel de reprise molle en Europe. "Mais si le volume de crédit est relativement faible actuellement, cela a plus à voir avec une demande fragile de la part des entreprises qu'avec un problème d'offre des banques, poursuit l'économiste. Et quand le crédit repartira, les garde-fous qu'on aura mis en place pour empêcher un emballement excessif seront sains".

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