Il y a neuf mois, le Parti démocrate japonais (PDJ, centre gauche) mettait un terme à cinquante-quatre années de pouvoir conservateur dans l'archipel. La cote de popularité de son président, Yukio Hatoyama, atteignait 70 % quand il fut nommé Premier ministre. Elle était tombée à moins de 20 % quand il a démissionné, le 3 juin. L'alternance si longtemps attendue a cruellement déçu les espérances.
Le Parti démocrate a été confronté à un dilemme aussi ancien que la démocratie : comment passer des promesses électorales à un exercice réaliste du pouvoir, surtout dans un pays où la dette publique atteint 200 % du produit intérieur ? L'opinion, consciente du problème, était prête à pardonner, d'autant plus que le PDJ a déjà mis en oeuvre certaines mesures sociales emblématiques et que le Japon renoue avec la croissance. La débâcle est largement imputable à l'amateurisme dont Hatoyama lui-même, politicien pourtant chevronné, a fait preuve en ne définissant pas ses priorités.
Depuis ses débuts, il s'est débattu avec le dossier empoisonné du déménagement de la base militaire américaine d'Okinawa, qu'il a ouvert sans qu'il y eût urgence, en dénonçant un accord conclu avec Washington par les conservateurs, sans avoir ni solution alternative ni unanimité au sein de son cabinet. De rodomontades en atermoiements, puis en reculades, le Premier ministre a gaspillé son énergie pour finir par capituler face à l'intransigeance des Américains. L'opinion ne lui a pas pardonné qu'il perde ainsi la face.
Hatoyama a été aussi atteint par le mal qui ronge le système politique japonais : le financement politique illégal. Le PDJ veut pourtant s'attaquer aux racines du mal en interdisant aux politiciens de recevoir la moindre somme des entreprises et autres organisations. Mais, au lieu de mettre en exergue cette volonté ¯ réelle ¯ et bien que son péché fût véniel, le Premier ministre démissionnaire est resté sur une défensive maladroite, qui trahit la panique de toute la classe politique face aux médias.
Ceux-ci ont déjà précipité en enfer les trois prédécesseurs ¯ conservateurs ¯ d'Hatoyama. Aucun n'a résisté plus d'un an à l'acharnement de la presse et de la télévision. Les médias japonais affichent pourtant leur neutralité politique. Ils visent simplement à ratisser au plus large, ce qui permet au plus puissant quotidien de tirer à 12 millions d'exemplaires. Mais, dans cette course à l'audience, rien ne vaut la posture de dénonciation et la mise en scène d'un dossier transformé en feuilleton. Les rebondissements quasi hebdomadaires de la saga d'Okinawa ont occulté l'essentiel du travail gouvernemental, donnant une importance démesurée à son échec.
La place prise par les médias est une donnée incontournable de la démocratie. On doit déplorer les excès de l'esprit partisan dont ils font parfois preuve, les facilités de la « peopolisation » ou la domestication à laquelle ils peuvent être soumis. Au Japon, la grande presse échappe pour l'essentiel à ces travers. Pourtant, à privilégier le spectaculaire aux dépens du fond du débat politique, elle contribue à la fragilité des gouvernements qui mine un pays en crise sévère. Au risque d'affaiblir la démocratie dans une région où elle est confrontée à un formidable ennemi : un régime chinois autoritaire, à la réussite éclatante...
(*) Directeur de recherche à Sciences Po (Ceri).
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