vendredi 22 novembre 2013
La métaphore du sursaut national
La France humiliée la semaine dernière s'est redressée face à l'Ukraine. Une situation dont il ne faudrait pas tirer trop vite des conclusions politiques...
Mardi soir, l'équipe de France de football a gagné. La partie, retransmise par TF1, s'est déroulée sous les yeux de 13,5 millions de téléspectateurs, avec un pic à 18 millions, pulvérisant les records d'audience. À la suite du match catastrophique qui avait eu lieu à Kiev vendredi dernier, j'avais écrit un billet titré "La France qui perd". Un internaute contributeur écrit sous ma chronique : "Chère Madame Rheims, ayant écrit un article assassin sur l'équipe de France, associant sa défaite à la situation politique actuelle, je ne doute pas qu'après cette belle victoire votre déontologie vous oblige à en rédiger un qui rendra hommage au courage des joueurs... et du chef de l'État :-)."
Ce message rejoint les moqueries qui sont tombées, après cette victoire inespérée, sur la tête de tous les chroniqueurs qui avaient laissé exploser leur colère contre cette équipe après le match calamiteux de vendredi, en particulier Pascal Praud et Pierre Ménès. Si je ne me sens pas du tout "obligée", par "déontologie", à rendre "hommage aux joueurs et au chef de l'État", comme le demande Éric-91360, force est de constater que le contraste entre les deux matchs à quatre jours d'intervalle a de quoi faire réfléchir.
Derrière cette question, on entend une demande de reconnaissance valable aussi bien pour le football que pour la politique, puisqu'il s'agissait, avec la "France qui perd", d'une métaphore entre les deux. Il faudrait reconnaître qu'il peut y avoir, aussi peu probable que cela puisse paraître, un sursaut national qui nous ferait tourner la page et passer brusquement à la "France qui gagne " après des mois, des années de déprime et de pessimisme. On imagine que la décision au dernier moment de François Hollande d'être présent dans les tribunes relevait de cet espoir. Il annonça d'ailleurs d'emblée que la nation tout entière était derrière son équipe nationale.
Il est évident que, d'un match à l'autre, on ne voyait pas la même équipe et le fait de jouer au Stade de France avec des supporteurs qui chantaient la Marseillaise comme jamais n'explique pas tout. L'équipe du match aller était celle d'un regroupement d'individualités, stars bien payées dans leurs clubs internationaux, soucieuses de ne pas se blesser face à l'agressivité de joueurs ukrainiens qui avaient beaucoup moins à perdre en cas de blessure et beaucoup plus à gagner en cas de victoire. Cette équipe de France, celle "qui perd", est un symbole d'un pays dans la tourmente de la mondialisation face au diktat de la finance toute-puissante.
La question que tout le monde se posait était de savoir si cette équipe de la "désagrégation" nationale face à la mondialisation était capable de se ressaisir, en tant que collectif, au nom du patriotisme, du maillot bleu, de la nation et de la Marseillaise, afin d'aller au combat, pour l'honneur et pas pour l'argent, comme des soldats qui acceptent leur destin sur le champ de bataille au nom d'une communauté qui les transcende.
C'est là où la métaphore trouve peut-être ses limites, car ce qui est possible avec un petit groupe de sportifs de haut niveau qui sont le dos au mur et risquent de perdre la face en étant éliminés de la coupe du monde, avec de graves conséquences pour leurs carrières, n'est pas comparable à ce qu'on peut attendre d'un pays de 66 millions d'habitants connus pour leur individualisme et leurs particularismes, et surtout qui n'entendent pas tous la même chose quand on leur parle de "sursaut national".
Certains pourraient même aller jusqu'à n'entendre par là qu'une victoire possible du Front national, d'une France sauvée par les valeurs de Marine Le Pen
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