TOUT EST DIT

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lundi 18 mars 2013

Conseil d'orientation des retraites : des hypothèses fantaisistes


Les projections de déficits du Conseil d'Orientation des Retraites reposent sur des hypothèses dont les plus pessimistes sont au-dessus de l’historique des vingt dernières années. A l’horizon 2030, ces hypothèses fantaisistes négligent des dizaines de milliards de déficit.
Lors de la dernière campagne présidentielle américaine, un candidat à l’investiture américaine (Rick Perry) avait déclaré, comme je l’ai déjà écrit moi-même, que le système de retraite par répartition était un schéma de Ponzi, provoquant une forte réaction des défenseurs de la sécurité sociale américaine, qualifiant cette comparaison d’ânerie. Un commentateur de mes propres billets sur le sujet et ayant le sens de la formule a qualifié la référence à Ponzi/Madoff de point Godwin de l’économie.
Cependant, grâce au débat américain, on a retrouvé quelques noms s’étant dans le passé associés à cette ânerie. Milton Friedman, d’abord, avait qualifié en 1999 le système de « plus grand ponzi de la planète ». Mais il ne suivait en cela qu’une comparaison établie par Paul Samuelson en 1967. Un couple intéressant car Friedman et Samuelson sont probablement respectivement les économistes les plus influents du libéralisme et du keynésianisme de la seconde moitié du XXème siècle. Le très progressiste Paul Krugman avait lui-même qualifié le système de Ponzi, avant de se rétracter lorsque les conservateurs américains se sont mis à le citer à ce propos.
Economiquement, une chaîne de Ponzi se définit comme un système dans lequel d’anciens investisseurs ne sont pas rémunérés avec le rendement de leur placement, mais avec les dépôts de nouveaux investisseurs. Ce qui correspond à la mécanique du système des retraites, dans lequel les pensionnés ne touchent pas le fruit de leurs cotisations passées, mais récoltent les cotisations actuelles des actifs.
Aussi, le meilleur argument que j’ai pu trouver pour dire que la retraite par répartition n’est pas un Ponzi vient du droit et non de l’économie. En effet, une chaîne de Ponzi est une fraude, dans laquelle le mécanisme sous-jacent est caché et dont la comptabilité est truquée. Mais dans le cas du système par répartition, le mécanisme est de notoriété publique et les comptes de la sécurité sociale publiés. En cela, la sécurité sociale se distingue d’une fraude, et donc d’un Ponzi. C’est cet argument que je souhaite analyser.
La première remarque, est que la raison pour laquelle un escroc souhaitant initier une pyramide de Ponzi doit mentir sur sa nature et maquiller sa comptabilité est que sans quoi personne ne lui confierait d’argent. Dans le cas de la sécurité sociale, la participation étant assurée par la coercition de la loi, il n’est pas à ce point nécessaire d’en cacher le mécanisme ou d’en déguiser la comptabilité.
Mais mon objection principale porte sur la lisibilité comptable du système. D’abord, la comptabilité d’un système par répartition n’a que peu de rapport avec celle d’un fonds d’investissement ou d’une entreprise. Par principe, comme les cotisations sont immédiatement reversées aux pensionnés, la répartition, si elle est en équilibre, n’a pas d’actif, donc pas non plus de bilan.
Mais surtout, s’il existait réellement une comptabilité digne de ce nom, les cotisants devraient recevoir une feuille répertoriant, les dépôts effectués, la valeur des droits à la retraite accumulés, et la différence entre les deux (c’est-à-dire les pertes ou profits). Tenir une comptabilité requiert de publier la valeur de ses obligations financières. Dans un fonds d’investissement, vous ne savez pas quelle sera la valeur de votre capital dans dix ans, mais au moins avez-vous sa valeur de marché actuelle.
Concrètement, la meilleure perception que peut avoir le cotisant au système par répartition français de la valeur de sa participation vient de la projection de la situation financière du système à long terme. En la matière, les documents de référence relayés par la presse sont les rapports du Conseil d’Orientation des Retraites (COR). D’abord, ces projections garantissent un déficit permanent, mais surtout elles sont une escroquerie. C’est ce dernier point que je veux vous démontrer simplement.
Pour réaliser les projections alarmistes que vous lisez dans la presse, le Conseil, composé de politiciens et de syndicalistes, doit se fonder sur des hypothèses démographiques et économiques ridiculement optimistes.  Ce tableau issu du rapport du COR (p.15) résume les hypothèses des dernières projections.

Le tiers monde paiera !

Les hypothèses démographiques sont capitales, mais aussi relativement fiables à cette échelle de temps. L’immigration constitue la principale source d’incertitude.
L’hypothèse explicite retenue dans tous les scénarios est un solde migratoire nettement plus fort que celui des trois dernières décennies. Le graphique suivant présente l’évolution du solde migratoire français depuis 1980, et dont la moyenne annuelle s’établit plutôt à 66 000 personnes.
L’hypothèse sous-jacente est une bonne performance du système d’intégration des immigrés afin qu’ils puissent cotiser au système de retraite. Dans un article récent dont je vous avais parlé (lien), Algan et al. montraient que le taux d’emploi des enfants d’immigrés était très inférieur à la moyenne nationale. Ainsi, seul un enfant d’immigré d’Afrique noire sur quatre disposerait d’un emploi.
Enfin comme le montre clairement l’exemple espagnole, rendre le système social dépendant de l’immigration accroît considérablement son exposition aux retournements de l’économie, et donc de l’attractivité du pays. Le solde migratoire espagnole a chuté de près d’un million d’habitants par an depuis l’éclatement de la crise (lien).

Le retour des Trente Glorieuses

Une fois le principe du repeuplement par l’immigration acté, le Conseil invoque un miracle économique. Deux variables clés sont explicitement considérées. Une troisième, bien plus importante, est beaucoup plus tacite et n’apparaît pas dans le tableau récapitulatif des scénarios.
La première variable est la croissance de la productivité apparente du travail (PIB par actif occupé), car en supposant les salaires alignés sur cette productivité, la croissance de la productivité détermine celle des salaires et donc des cotisations.
Concrètement, la croissance de cette productivité est la différence entre le taux de croissance du PIB est celle de la population active (cf. p20). C’est-à-dire la croissance du PIB par actif.
Pour juger de la crédibilité des scénarios proposés, je propose de les comparer aux vingt dernières années. Le graphique suivant présente les 5 scénarios et la productivité en base 100 en 1989. On y voit qu’au regard des vingt dernières années, tous les scénarios proposés par le COR sont au-dessus de ce qui s’est réellement passé. Le scénario médian (B) correspond à une hausse de 43 pts de la productivité par actif, soit trois fois plus que ce qui a été observé entre 1989 et 2009 (+ 16 pts). Seul l’hypothèse C’ semble correspondre aux deux dernières décennies, en ignorant l’effet de la crise de la dette.
L’autre hypothèse sur laquelle repose le rapport du COR est un recul plus ou moins marqué du taux de chômage. A nouveau, si l’on se réfère aux taux de chômage observés ces vingt dernières années, les hypothèses du COR semblent excessivement optimistes. Le chômage n’a jamais été en dessous de 7% (hypothèse pessimiste du COR) depuis 1981.
Mais la réduction du chômage n’est qu’un leurre dans les projections fantaisistes du Conseil. Le graphique qui suit est copié-collé du rapport de décembre 2012 (p.31).
Il montre l’évolution du nombre de cotisants. On y voit que le Conseil espère une création d’environ 3 millions d’emplois nouveaux d’ici 2025-2030. Pendant le même temps, la population des 20-65 ans se contractera légèrement, passant de 37,8 millions à 37,5 millions, d’après les projections de l’INED (avec le solde migratoire à +100 000). Cela implique donc un passage du taux d’emploi d’environ 67% à 76%, correspondant donc à un gain de 9 points. Ce qui signifie que même le retour attendu depuis quarante ans au plein emploi (chômage à 4,5%) ne suffit pas à soutenir l’hypothèse du Conseil, qui doit être accompagnée d’une forte participation des plus de soixante ans à l’emploi.
L’histoire que se raconte le COR est que le report de deux années de l’âge de départ à la retraite justifie la révision opérée vis-à-vis des projections qu’il avait établies en 2010. Cependant, si on regarde le graphique, on voit que la révision ajoute deux millions de cotisants en 2030. Et là, j’ai du mal à retrouver la substance absorbée par les sages, car deux classes d’âges représentent environ 1,6 millions d’individus. Donc même à supposer un taux d’emploi de 100% (le taux d’emploi des 55-64 ans est de 41,5% (source)) et l’ajustement total à la réforme, on n’arrive pas à 2 millions de cotisants en plus grâce à la réforme.

Quantifier l’entourloupe

D’après l’INSEE, la France a créé 6 millions d’emplois en 55 ans, soit environ 110 000 par an depuis 1955 (source). Cette croissance de l’emploi a été soutenue par la féminisation du travail et une hausse de 12 millions de personnes de la population des 20-64 ans (source).
Mais ce que veut nous faire croire le Conseil, c’est que la France créera 3 millions d’emplois d’ici 2030, c’est-à-dire, 167 000 par an (à supposer qu’on commence cette année), dans un contexte de stagnation de la population active et sans apparition d’un troisième sexe.
La question, c’est qu’elle est l’impact d’une diminution du nombre des cotisants prévus ? En 2011, les ressources du système des retraites représentent 13.2% du PIB pour 25,5 millions de cotisants. Cela représente environ 10,35 milliards par million d’actifs. Ensuite, en appliquant le taux de croissance des salaires selon l’hypothèse centrale du COR (Scénario B), on arrive à 13 milliards en moins, par million d’emplois manquants en 2030.
Donc une correction de un million d’emplois en 2030 – ce qui laisse à l’économie française la charge de créer deux millions d’emplois d’ici là – fait passer le déficit du scénario B en 2030 de 27.5 milliards à 40 milliards.
L’hypothèse conservatrice d’une stabilité du taux d’emploi de la population active accroît le déficit projeté d’environ 25 milliards par an, ce qui dans le Scénario C propulserait le déficit de 2030 à 65 milliards par an. On retrouverait alors plus ou moins la projection établie par le rapport du COR en 2010, qui projetait un déficit de 80 milliards par an dans le scénario C en 2030.
Comme je l’avais indiqué dans mon billet reprenant les estimations du Rapport de 2010 du COR, le seul système des retraites doublerait le ratio dette publique/PIB de la France d’ici à 2040. Ce qui est juste impossible. Les hypothèses de miracle économique décrites par le COR sont une fraude politique. Rappelons pour soutenir la crédibilité de ce billet que la Banque des Règlements Internationaux de Bâle projette la dette publique française à 300% du PIB en 2030 et suggère le report de l’âge de la retraite comme principale solution (Cecchetti, Fender & Zampolli, 2010).

Bibliographie :

  • Onzième Rapport du Conseil d'Orientation des Retraites, Décembre 2012 (lien)
  • Stephen Cecchetti & Madhusudan Mohanty & Fabrizio Zampolli, 2010. « The future of public debt: prospects and implications, » BIS Working Papers 300, Bank for International Settlements.(lien)

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