TOUT EST DIT

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lundi 18 mars 2013

L’Europe a perdu ses citoyens

Les derniers chiffres de l’Eurobaromètre illustrent ce que les résultats électoraux disent les uns après les autres : frappés par la crise, les Européens n’ont plus confiance en l’UE. Après avoir sauvé l’euro, il faut sauver la légitimité de l’UE et si possible, avant les élections de 2014.

Pour sauver l'euro, il fallait deux choses : une décision politique claire qui mette fin aux spéculations sur son avenir et un instrument financier qui rende cette promesse crédible. En 2012, au terme de plusieurs années d'hésitations, de maladresses et d'erreurs, les dirigeants européens ont répondu à ce double besoin. Ces deux décisions ont sorti l'euro de l'abîme pour le replacer sur le chemin d'une stabilité qu'on ne connaissait plus depuis plusieurs années.
Les conséquences très limitées du chaos post-électoral en Italie en disent long sur cette nouvelle solidité de l'euro, pour le moment en tout cas. Rappelons-nous, en octobre 2011, le choc suscité par la décision de Georges Papandréou de convoquer un référendum sur les politiques de rigueur dictées par la troïka : l'annonce avait porté les indices d'incertitude avec lesquels jouent les analystes financiers à des niveaux plus élevés que ceux qu’ils atteignaient au lendemain des attentats du 11 septembre. L'Italie a beau être plongée dans un indubitable chaos, l'euro résiste.
Il n'en reste pas moins que le résultat italien, couplé à la solidité de l'euro, vient aussi illustrer la faiblesse politique de l'Europe, et mettre en lumière une crise de légitimité qui se creuse dangereusement, élection après élection.

Sans croissance, pas de légitimité

Les chiffres de l'Eurobaromètre, ce sondage d'opinion réalisé tous les semestres par la Commission, ne laissent aucun doute sur l'ampleur de la chute de confiance des citoyens européens envers l'Union. Dans des pays comme l'Espagne, la confiance “nette” dans l'UE (qui soustrait le pourcentage des personnes ne faisant “pas confiance” au total de celles qui “font confiance”) atteignait en 2007, c'est-à-dire avant le début de la crise, 42 points (65 % moins 23 %). Aujourd'hui, la tendance s'est inversée, laissant la place à une méfiance nette de 52 points : ils sont 72 % à ne pas faire confiance à l'UE, contre seulement 20 % à lui faire confiance.
La dégringolade est spectaculaire et oblige à une réflexion en profondeur, en particulier dans le cas d’un pays à la tradition europhile aussi ancrée que l'Espagne. En Grèce, en Irlande, au Portugal, à Chypre, l'UE est considérée avec une défiance aussi écrasante qu'en Espagne. Cependant, il est significatif que cette flambée de méfiance ne se limite pas aux seuls pays fortement endettés, mais concerne aussi les pays en meilleure situation financière, voire les pays créanciers : en Allemagne, en Autriche, en France, aux Pays-Bas ou en Finlande, la population n'a pas confiance en l'Union non plus. Force est de constater que la défiance ne concerne pas seulement l'UE mais s'exerce aussi à l’encontre de certains pays et de certains citoyens. Dans cette situation, tout le monde y perd.
Nous voilà donc face à un grave problème de légitimité. Dans la sphère européenne, où l'identité collective, les valeurs communes et les processus démocratiques restent balbutiants, la légitimité était surtout venue des performances économiques : plus la croissance était forte, plus la population soutenait l'intégration européenne, et vice-versa. Ce qui signifie que la réserve de légitimité du système, puisqu'elle est presque exclusivement fonction de la croissance économique, se révèle très limitée, et tend à s'épuiser à vitesse V dans un contexte de crise.
C'est précisément ce à quoi nous assistons aujourd'hui. D'une part, si elles peuvent éventuellement tenir leurs objectifs de maîtrise des déficits (mais pas de réduction de la dette), les politiques d'austérité ne produisent ni croissance ni emploi : elles ne peuvent donc pas fédérer le soutien des citoyens dont elles ont pourtant besoin pour fonctionner. Mais il y a pire : en contraignant les gouvernements à bafouer systématiquement les promesses électorales qui les ont conduits au pouvoir et à tous mener les mêmes politiques quelle que soit leur couleur, elles sapent aussi la légitimité des systèmes politiques nationaux.
Comme on le voit dans les pays sous plan de sauvetage, les systèmes politiques s'usent (en Espagne et au Portugal), ou bien se décomposent (en Italie et en Grèce). Parallèlement, dans l'autre camp, celui des pays créanciers, comme il n'y a pas non plus de croissance économique, la population a le sentiment que les pays du Sud sont un pénible fardeau qui absorbe ses maigres ressources et freine ses progrès.

Pour éviter une mauvaise surprise

C'est sur ces tissus usés jusqu'à la corde, grignotés par la désaffection et la défiance, que l'UE doit aujourd'hui tricoter une indispensable intégration politique et économique. L'euro est sauvé, certes, mais il ne survivra pas à long terme sans une union bancaire assortie de mécanismes de sortie de crise et de garanties sur les dépôts dans toute l'Europe. Ni sans un budget digne de ce nom, sans une mutualisation de la dette et une coordination bien plus efficace des politiques économiques.
Or ces décisions nécessitent précisément ce qui manque aujourd'hui à l'Europe : la confiance dans l'Union, et la confiance mutuelle. Pour que l'Europe fonctionne, les citoyens, du Nord comme du Sud, des pays créanciers comme des endettés, du centre comme de la périphérie, doivent être prêts à doter les institutions européennes de mécanismes financiers adaptés et, parallèlement, d'instances de gouvernement efficaces et légitimes du point de vue démocratique. Mais pour que les impôts d'un citoyen allemand garantissent les dépôts d'un épargnant espagnol, ou que les contributions d'un épargnant espagnol garantissent les avoirs d'un Grec ou d'un Portugais, nous avons besoin d'une confiance en l'Europe qui aujourd'hui nous fait défaut.
En juin 2014, l'Europe appellera ses électeurs aux urnes. Si d'ici là, la confiance des citoyens dans l'UE n'est pas restaurée, la surprise risque d'être assez désagréable. Sauver l'euro était un impératif, mais l'euro n'est pas une fin, simplement un moyen. La fin, ce sont les citoyens : un euro sans eux n'a pas tellement de sens.

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