TOUT EST DIT

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lundi 18 mars 2013

La leçon de Byzance à l’Europe


En bâtissant une union fiscale et politique autour d’une monnaie unique au sein d’une communauté multiethnique et multilingue, en tirant leur peuple d’une terrible récession, les empereurs byzantins ont relevé tous les défis. Les dirigeants européens feraient bien de s’inspirer de leur exemple, conseille un historien britannique.
Il est parfois facile d’oublier pourquoi nous étudions l’histoire. Bien sûr, nous nous servons du passé pour comprendre le présent, mais dans l’idéal, nous devrions aussi en tirer des leçons. C’est pourquoi il est bien dommage que le nouveau programme scolaire britannique ne fasse pas une petite place à l’histoire de Byzance. La moitié orientale de l’Empire romain, qui a connu son heure de gloire bien après Rome, a aussi fini par péricliter à la fin de l’Antiquité.
Malheureusement, comme les générations suivantes n’ont jamais rien appris de la puissance méditerranéenne orientale qui régnait jadis de Venise en Palestine, et de l’Afrique du Nord au Caucase, la leçon à retenir par le monde moderne s’est sûrement perdue avec le temps – une leçon qui serait pourtant extrêmement utile à l’Europe aujourd’hui. Tout comme l’UE, l’Empire byzantin était une communauté d’Etats multilingue et multiethnique qui regroupait différents climats et diverses économies locales, de la ville animée au bourg, du port prospère au petit village rural. Et ce n’est pas tout, car cette communauté avait également une monnaie unique, dont la valeur, en outre, n’a pas fluctué pendant des siècles.
Contrairement aux idées reçues, que l’on entend presque tous les jours à la Chambre des communes lorsque les députés font la queue pour qualifier de “byzantines” les réglementations excessives et les lois trop complexes, l’Empire byzantin était en réalité un modèle de sophistication, notamment dans les domaines où l’UE fait preuve d’insuffisance. Byzance, à l’opposé de l’Union européenne, ne souffrait pas d’inefficacité et de disparités en matière d’imposition : il était impossible de cacher des profits dans une région plus avantageuse pour ainsi saper la structure de l’empire. A Byzance, la façon de gouverner était frugale, simple et efficace.

Les responsables ont payé

Il était hors de question que différentes régions de l’empire puissent avoir différentes règles ou politiques fiscales : pour que les Etats fonctionnent avec une monnaie unique, une union budgétaire, économique et politique était nécessaire. Des impôts devaient être prélevés à la périphérie au profit du centre et il était clair que les ressources devaient être redistribuées des régions riches vers celles qui n’étaient pas aussi chanceuses – même si tout le monde n’était pas de cet avis. Etre libre, a grommelé un auteur du XIe siècle, voulait dire être libre d’impôts.
Si les eurocrates tiraient des enseignements de la structure de l’empire, ils pourraient aussi bénéficier de sa façon de gérer une récession chronique, provoquée par la même association fatale de facteurs qui paralysent aujourd’hui les économies occidentales. Dans les années 1070, les revenus publics se sont effondrés alors que les dépenses continuaient à augmenter pour certains services essentiels (comme l’armée), un contexte aggravé par une crise chronique de liquidités. La situation a fini par être si désespérée que les portes du trésor restaient grandes ouvertes : ce n’était pas la peine de les fermer, a écrit un homme à l’époque, puisqu’il n’y avait rien à voler.
Personne ne s’est montré clément envers les responsables de la crise. L’équivalent d’Herman Van Rompuy à l’époque, un eunuque du nom de Nikephoritzes, a été descendu en flammes par la population furieuse, qui faisait face à la hausse des prix et à une chute du niveau de vie. Il a fini par être torturé à mort. Le mécontentement général a entraîné le renvoi immédiat de plusieurs autres hommes, qui ont souvent été contraints de devenir moines, probablement pour qu’ils prient afin d’être pardonnés pour leurs péchés.
Cette crise a même vu l’essor d’une figure semblable à Nigel Farage, qui invoquait des raisons “extrêmement persuasives” quant aux origines de la crise, selon l’un de ses contemporains, au point que la population “l’avait placé sur un piédestal d’un commun accord” et l’accueillait partout par des applaudissements. Il apportait de la nouveauté à une époque où la vieille garde était paralysée par l’inaction et une grave pénurie de bonnes idées. Il était difficile de contester son message, selon lequel les dirigeants au pouvoir étaient inutiles.

Des mesures décisives indispensables

Les misérables politiques qu’ils tentaient de mettre en œuvre étaient désastreuses, puisqu’elles ne contribuaient en rien à régler les problèmes, comme le rabaissement de la monnaie en injectant de plus en plus de pièces tout en y réduisant la quantité de métal précieux, une mesure d’assouplissement budgétaire, en quelque sorte. Autrement dit, autant mettre un pansement sur une plaie par balle.
Comme la situation continuait de s’aggraver, le temps est venu de remplacer toute la vieille garde. De nouveaux dirigeants sont arrivés et avec eux de nouvelles idées radicales. Un plan de sauvetage allemand a été envisagé, mais ne s’est pas concrétisé, même si cette solution semblait prometteuse pendant un moment. Toutefois, alors que la pénurie se faisait sentir et que les débats étaient apocalyptiques, il est devenu indispensable de prendre des mesures décisives.
La solution s’est articulée en trois axes. Tout d’abord, la monnaie a été retirée de la circulation pour être remplacée par de nouvelles coupures qui reflétaient leur valeur réelle. Puis, le système fiscal a fait l’objet d’une réforme radicale, dans le cadre de laquelle un inventaire des biens possédés par chacun dans tout l’empire a ensuite servi de base pour collecter des impôts. Enfin, les barrières commerciales ont été levées pour encourager les personnes disposant de fonds étrangers à investir à moindre coût et plus facilement que par le passé – pas pour acquérir de nouveaux biens, mais uniquement pour stimuler le commerce.
La détresse de l’empire était telle que ces barrières sont tombées au point que les investisseurs étrangers puissent faire de meilleures offres que les sujets de l’empire, au moins à court terme, afin de relancer l’économie. Cette stratégie a fonctionné : elle s’est avérée moins douloureuse que prévu et elle a réanimé un patient qui avait subi un arrêt cardiaque économique.
Le Nigel Farage du XIe siècle n’est jamais arrivé à ses fins, d’ailleurs, même s’il a ouvert la voie à un excellent candidat qui a pu parvenir au sommet. Alexios Komnenos est l’homme qui a reconstruit Byzance, bien qu’il ait dû payer le prix de ses réformes : méprisé de son vivant pour avoir pris des décisions difficiles, il a également été ignoré par l’histoire pendant des siècles. Peut-être devrions-nous chercher quelqu’un d’aussi robuste aujourd’hui.

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