Bien entendu, les apparences sont
sauves. La majorité présidentielle est confirmée par une majorité
parlementaire confortable, et institutionnellement indiscutable. Grâce à
cette victoire, le Parti socialiste dispose aujourd’hui des leviers
nécessaires pour gouverner et mettre en œuvre son programme.
Comme le soulignent certains analystes, le poids de la gauche en France
atteint même des proportions inhabituelles dans notre histoire. Depuis
plusieurs décennies, et peut-être comme jamais depuis que nous avons
balayé la monarchie, aucune force politique n’avait jamais autant pesé
que le Parti socialiste de 2012. En ce sens, la Constitution de
la Ve République, qui avait voulu un décrochage majeur avec les
atermoiements de la IVe République, se porte bien et fonctionne
excellemment : elle a une fois de plus donné une majorité exécutive et
opératoire au gouvernement.
D’une
certaine façon, la France a l’apparence surréaliste de l’eau qui dort.
La campagne électorale s’est centrée sur des affaires de famille, des
histoires de couple, et a totalement évacué les sujets graves. Officiellement,
le gouvernement ne lancera pas de politique d’austérité. La France va
se battre pour des mesures de croissance. Avec un peu de chance, les
Grecs auront désigné une majorité de consensus avec l’Union Européenne.
Celle-ci va payer pour maintenir encore quelques semaines la conviction
que tout peut continuer sans arbitrage difficile.
Au fond, la vie continue comme si de rien n’était.
Mais
il y a des signaux plus ou moins faibles qui laissent transparaître
sous la surface calme des eaux hexagonales, l’action de forces
dangereuses pour le destin du pays.
D’abord, l’abstention a atteint des records historiques. Et, si nous nous fions au nombre de voix obtenues au premier tour, elle prend des proportions anxiogènes. Le Parti socialiste a recueilli 7,6 millions de voix pour 46 millions d’inscrits.
En agrégeant toutes les voix de gauche, la majorité qui prend le
pouvoir n’a pas dépassé les 11 millions de suffrage, soit moins de 25%
des inscrits. L’UMP en a recueilli 7 millions, et le Front National 3,5 millions.
Avec
16,5% des voix, le Parti socialiste détient la majorité absolue des
sièges à l’Assemblée. Avec 15,2%, l’UMP en détient presqu’un tiers. Avec
la moitié de ce score, le Front national décroche 2 sièges,
c’est-à-dire moins de 0,5% des mandats à pourvoir.
On
peut se satisfaire de cette disproportion, mais plus sérieusement les
gens de raison ne manqueront pas de craindre les risques que cette
rupture dans la représentativité fait courir à l’harmonie politique. Avec
moins de 20% des voix, le gouvernement doit négocier des échéances
essentielles pour le pays : probablement un nouveau projet pour
l’Europe, avec plus d’intégration politique; un plan de rigueur, même
s’il ne dit pas son nom, qui touchera aux équilibres fiscaux acquis
depuis près de vingt ans.
Si l’on
ajoute à ces sujets économiques les enjeux politiques ou sociétaux comme
le mariage homosexuel, la réforme éducative ou l’évolution de la
politique pénale, l’enjeu de la mandature qui s’annonce prend un autre
relief. Jamais un gouvernement n’avait dû aborder des questions aussi importantes avec une si faible représentativité démocratique.
À
cet inquiétant constat, il faut ajouter les signaux faibles que les
démocrates ont perçus. La majorité présidentielle a mené une campagne
sans rien dévoiler de ses projets économiques. On devine juste que le
collectif budgétaire de cet été dégagera 10 milliards d’euros de
recettes supplémentaires dès 2012. 40 milliards sont annoncés pour 2013,
sans réduction claire des dépenses. Des recrutements nouveaux, des
dépenses nouvelles sont pressentis.
Mais
rien de tout cela n’a été débattu lors de la campagne, de telle sorte
que l’équipe au pouvoir a donné le sentiment de demander aux Français
une simple confirmation de leur vote d’avril, comme si les législatives
étaient une simple formalité. En ce sens, le jeu démocratique
n’a pas fonctionné. La délibération sur la politique à mener dans les
mois et les années à venir n’a pas eu lieu.
Depuis
plusieurs mois, le pays se laisse bercer par les ambiguïtés, en rêvant,
comme un mari dominé par une femme acariâtre, que l’on tranche pour lui
et sans le lui dire les problèmes qui se posent. La France joue aux
Charles Bovary. Mais partagerons-nous le destin de ce pauvre hère qui
perdit tout sans même s’en rendre compte ? Ou bien, les aléas
économiques aidant, notre belle République se réveillera-t-elle de son
sommeil ?
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