TOUT EST DIT

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dimanche 26 août 2012

Robert Ménard : “La gauche est le bain naturel des médias”

Robert Ménard n’est pas surpris par les résultats de la consultation sur les journalistes, publiée dans la revue qu’il a fondée, “Médias”.
Pourquoi ce sondage ? Comme tout le monde, je pressentais que les journalistes étaient majoritairement de gauche – ce que semblaient confirmer les simulations de vote organisées par des étudiants en journalisme à l’occasion de la présidentielle. J’ai voulu en avoir le coeur net. C’est fait !
Néanmoins, peu de journalistes ont répondu à cette enquête… Ce n’est pas un sondage mais une consultation. Harris Interactive a proposé de consulter les journalistes inscrits sur Twitter… et ils sont nombreux ! Répondait qui voulait. Le résultat confirme clairement ce que chacun sait : les journalistes penchent nettement à gauche.
Pourquoi ? Il n’y a pas de complot, ce n’est pas le résultat d’une action concertée décidée par l’extrême gauche ou par le PS. Ils n’ont pas lancé leurs militants à l’assaut des médias. Je crois même que beaucoup de journalistes seraient surpris de se découvrir de gauche. Ils ne sont pas encartés, à quelques exceptions près. Seulement, les idées aux quelles ils croient leur semblent naturelles, donc indiscutables : pour eux, l’immigration est forcément une chance pour la France, la prison produit toujours des criminels, les gens qui gagnent de l’argent sont des salauds… Défendre ces idées, c’est incarner le bien. La gauche, c’est le bain naturel des médias. Parce qu’elle est réputée gentille, attentive aux faibles, aux opprimés… En fait, les journalistes pensent ce qu’ils pensent que l’on doit penser ! Comme s’il était admis, une fois pour toutes, qu’il y a le camp du bien – ceux qui adhèrent à ce catéchisme – et le camp du mal – ceux qui osent simplement en débattre. Alors que les journalistes devraient faire profession d’impertinence, nous sommes dans l’ordre de la croyance et de l’autocensure. Il est inconcevable de contester ce qu’il est de bon ton de penser !
Les journalistes forment-ils vraiment une classe homogène ? Dans un entretien accordé à Médias en 2005, Régis Debray affirmait qu’il y a autant de différences entre un agencier et le directeur d’une rédaction nationale qu’entre le bas et le haut clergé en 1789. Qu’il y ait des nuances, sans doute, et je connais bon nombre d’éditorialistes qui encensaient Nicolas Sarkozy en 2007… comme ils encensent aujourd’hui François Hollande ! Certains agissent moins par conviction que par intérêt. Mais la dernière campagne électorale l’a prouvé : la profession reste majoritairement à gauche et la promotion du “bas clergé” dans la hiérarchie n’y changerait rien. Il faut n’avoir jamais mis les pieds dans une rédaction pour croire que le directeur d’une rédaction impose aux journalistes ses valeurs et ses convictions !
Et les actionnaires ? La gauche accuse le “capital” de contrôler la presse… Je sais bien que certains cèdent à la tentation d’intervenir, mais l’influence qu’exerce le propriétaire d’un journal sur son contenu est souvent limitée par les sociétés de rédacteurs et par les syndicats. Le souci de ne pas déplaire aux annonceurs me paraît plus problématique… Je regrette surtout que la profession s’abrite derrière ces raisons pour ne pas se remettre en cause et s’interroger sur ses pratiques.
Pour une profession censée informer l’opinion, ce conformisme est plutôt inquiétant… L’informer, la former ou la déformer ? Je me pose souvent la question ! Un exemple : il a fallu attendre quarante-huit heures pour que les médias révèlent le prénom (Souleymane) du collégien suspecté d’avoir tué l’un de ses camarades à Rennes, le 22 juin, alors que cette information circulait partout sur Internet! Pourquoi ? Par peur d’attiser l’islamophobie. Il y a toujours de bonnes raisons pour taire un fait qui dérange. C’est de cette bonnne conscience que se meurt la presse française, car elle excuse tout, y compris la dissimulation d’informations.
Les médias sont-ils assez puissants pour influencer un vote ? Leur influence se fait sentir d’abord sur les questions de société. Les médias pèsent surtout par l’idéologie qu’ils diffusent, par les poncifs qu’ils répètent, par les sondages qu’ils commandent, par les experts et les intellectuels qu’ils invitent – toujours les mêmes ! Une chose est sûre : s’ils n’étaient pas contraints de respecter un certain équilibre, les grands médias n’auraient quasiment pas donné la parole aux “petits candidats” ! Peu importe qu’ils aient des choses à dire, on les récuse parce qu’ils ne sont pas connus. C’est cette absence de curiosité qui est inquiétante. En fait, bien que beaucoup votent Mélenchon, il n’y a rien de moins révolutionnaire qu’un journaliste ! Ils prennent leur individualisme forcené pour une marque de liberté. Les deux tiers des journalistes n’ont pas pris part aux élections professionnelles qui viennent de s’achever. Quoi qu’on pense des syndicats de la presse, c’est consternant.
Leur influence n’est pourtant pas sans limites. En 2005, par exemple, la quasi-totalité des éditorialistes étaient pour le traité européen, que les Français ont rejeté. Parce qu’ils sont capables de recul, heureusement ! Les Français se défient des journalistes : pour eux, nous faisons partie d’une élite qui néglige leurs préoccupations. Cette rupture, pour le moins inquiétante, se mesure dans les urnes.
Comment garantir le pluralisme de la presse ? Vous n’hésitez pas à prendre position dans vos interviews. Les journalistes doivent-ils afficher leur engagement ? Cela, c’est ce qu’exigeait la gauche dans les années soixante-dix : “D’où parlez-vous ? ” Non, je ne crois pas qu’il faille en arriver là. J’ai défendu pendant vingt-cinq ans la liberté de la presse, ce n’est pas pour recourir aujourd’hui à des méthodes inquisitoriales que je réprouve ! Je me dis juste que les journalistes devraient, de temps en temps, essayer de “penser contre eux”.
Faut-il revoir la formation des journalistes ? D’abord, un constat : dans les consultations organisées dans diverses écoles de journalisme, rares sont ceux qui ont osé voter Sarkozy, encore moins LePen, ce qui est quand même préoccupant sachant qu’un Français sur deux vote à droite ! Les journalistes sont formés par des journalistes, ce qui se comprend techniquement mais favorise la “reproduction”, comme disait Bourdieu – d’autant plus que ces formateurs sont souvent issus des médias les plus dominants. Et qui forment-ils ? Les futurs cadres de la profession. La boucle est bouclée. Le milieu est trop consanguin.
Faut-il interdire aux conjoints des responsables politiques de faire du journalisme politique ? Oui : le mélange des genres discrédite la profession. Souvenez-vous de François Mitterrand interviewé par Anne Sinclair et Christine Ockrent, épouse ou compagne de deux de ses ministres : cela ne se voit dans aucune démocratie ! On peut bien aimer qui l’on veut, mais il faut en tirer les conséquences. Cette règle ne doit souffrir aucune exception.
Vous avez dirigé Reporters sans frontières. La presse étrangère est-elle moins monolithique ? Il y a dans la presse anglo-saxonne une impertinence qu’il n’y a pas ici. Et ce n’est pas seulement une question de moyens, cela se constate aussi dans les interinterviews. En France, un politique peut choisir ou récuser tel ou tel journaliste. C’est inconcevable aux États-Unis !
Votre revue, Médias, va cesser de paraître après huit années de présence en kiosques. Pourquoi ? Parce que nous avons perdu 80 % de nos annonceurs en deux ans, effrayés par la réputation prétendument “sulfureuse” de la revue. C’est un mot dégueulasse, “sulfureux”, qui laisse tout entendre sans jamais rien prouver ! En huit ans, nous avons publié des entretiens avec Régis Debray, Bernard-Henri Lévy, Stéphane Hessel, Michel Onfray, Pierre Bergé, Edgar Morin, Philippe Sollers… Pas vraiment des gens de droite ! Et de quoi m’accuse-t-on ? D’avoir écrit avec Emmanuelle Duverger, la rédactrice en chef de Médias, un livre intitulé Vive Le Pen ! Mais combien de ceux qui me le reprochent l’ont vraiment lu ? Beaucoup de mes procureurs ont instruit mon procès sur le seul fondement de ce titre, avant même la sortie du livre !
Vous êtes plus nuancé dans ce livre que son titre ne le laisse entendre. Fallait-il céder à la provocation ? Ce procès d’intention démontre qu’il existe en France des tabous dont la presse ne veut pas s’affranchir. Si nous avions titré “Vive Pol Pot !”, personne n’aurait bronché, sauf, peut-être, deux ou trois associations dont les protestations n’auraient pas eu beaucoup d’écho… Je pensais quand même que mes confrères feuilletteraient au moins le livre avant de se récrier. Médias a fait les frais de ce conformisme.
Dernier ouvrage paru : Vive l'Algérie Française !, par Robert Ménard et Thierry Rolando, Mordicus, 2012.

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