En Tunisie, ce 23 octobre, en Libye, en Égypte, en Syrie, et peut-être aussi en Algérie, les fondamentalistes gagnent du terrain. Ils se veulent rassurants. Faut-il les croire ?
La capture et la mort de Mouammar al-Kadhafi le 20 octobre à Syrte (blessé, sans doute lynché, il a été tué d’une balle dans la tête) ont mis fin à quarante-deux ans d’un règne sans partage, au terme de près de huit mois de guerre civile (plus de 30 000 morts et disparus). Dès le 23 octobre, le Conseil national de transition (CNT) proclamait la “libération” de la Libye et la nouvelle règle du jeu : la loi coranique (charia) devient la “source essentielle” du droit, « donc n’importe quelle loi contredisant les principes de l’islam est légalement nulle », confirmait Moustapha Abdeljalil, le président du CNT.
L’islam modéré jusque-là pratiqué en Libye sera durci, avec le retour à la polygamie (jusqu’à quatre femmes, sans leur autorisation), l’interdiction du divorce, la répudiation, la lapidation. Une phase de doute commence, la seule certitude résidant dans la place éminente prise par les islamistes au sein du nouveau régime et de ses forces combattantes, notamment à Tripoli. On observe la même évolution en Tunisie, en Égypte et sans doute déjà en Syrie, en Algérie et ailleurs où souffle le vent des “révolutions arabes”. Partout l’heure des Frères musulmans et de leurs cousins fondamentalistes a sonné. En Libye, leur agenda est autant politique que religieux.
Aidés par des fonds venus du Golfe, les plus exaltés d’entre eux croient pouvoir reconstituer un califat islamique. Ancré au cœur de la Méditerranée, face à l’Italie et à la Grèce, enserré entre les deux puissances arabes du continent africain, l’Algérie et l’Égypte, ce nouvel État islamique modifie le paysage géostratégique méditerranéen et nord-africain. L’enthousiasme religieux, l’organisation et la détermination des militants fondamentalistes et leur réputation d’honnêteté annoncent la même évolution en Égypte, à la veille du vote de fin novembre, comme en Algérie où le régime FLN d’Abdelaziz Bouteflika semble à bout de souffle, même si son régime de fer et sa manne pétrolière le préservent du “printemps arabe”.
À sa façon – douce, démocratique, rassurante –, la Tunisie vient d’ouvrir la route à ces changements qui voient progresser partout la charia. Le pays a voté massivement (90 % de participation), ce 23 octobre, pour la première élection libre depuis la chute du régime Ben Ali en janvier. Le parti Ennahda (“Renaissance”) réalise une belle percée. C’était prévu.
L’AKP turc est érigé en modèle au Maghreb
« La situation a changé », disent les islamistes tunisiens, derrière leur vieux chef, Rachid Ghannouchi, 70 ans, revenu à Tunis le 30 janvier dernier, après vingt-deux ans d’exil. Ennahda serait le premier mouvement arabe à réaliser ce que le parti “islamiste modéré” turc AKP a réussi en Turquie, depuis sa première victoire en 2002. S’installer au pouvoir et y rester.
Dans chacun de leurs meetings, placés sous une belle couleur bleu Méditerranée et pas vert islam, les islamistes tunisiens se veulent rassurants. Leur approche de la politique aurait changé, affirment leurs dirigeants. Ils en ont convaincu la diplomatie française, plutôt confiante, comme les propos récents d’Alain Juppé en Égypte et de l’ambassadeur Boris Boillon en Tunisie le montrent.
Les Frères tunisiens – comme en Égypte – affichent un agenda politique national, démocratique, sans aucune intention djihadiste –internationaliste – cachée. Ils se réfèrent en permanence à la Turquie de l’AKP, dont le premier ministre Recep Tayyip Erdogan a été récemment accueilli à Tunis par les islamistes tunisiens. Mais l’AKP est-il le meilleur exemple à présenter ? Ce parti “islamiste modéré” démantèle en effet le modèle politique national laïc légué par Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne. Ennahda pourrait réserver le même sort à la Tunisie laïque, modèle jugé trop “désarabisé”, c’est-à-dire trop occidentalisé.
On peut faire confiance aux Frères musulmans en Égypte et au parti Ennahda en Tunisie, croire nos diplomates dont on ne sait pas bien s’ils prennent leurs désirs pour des réalités ou si leur analyse est lucide. Il faut aussi écouter ce qui se dit à Tunis et au Caire, dans les milieux laïcs, où on lit et écoute les programmes islamistes, depuis des années. Tous annoncent une poussée du conservatisme religieux – « Pour-quoi s’en priveraient-ils s’ils ont la majorité ? » –, des reculs progressifs sur le statut de la femme, sur les règles du mariage et de l’héritage, sur les vêtements et l’alcool.
L’Égypte et la Tunisie viennent de vivre des coups de fièvre islamistes : des manifestations “spontanées”, plus ou moins violentes, dans les universités, devant la télévision d’État, devant des cinémas ou des bars. Téléguidés ou pas, ces mouvements sont des signaux qui traduisent l’impatience et l’ambition des fondamentalistes. Réprimés durement par les régimes précédents, ils espèrent beaucoup des urnes : leur revanche et l’application des idées pour lesquelles ils ont tant souffert.
Rachid Ghannouchi a pris ses distances avec les plus exaltés de ses “frères”, notamment ceux qui réclament l’instauration d’un nouveau califat : « La Tunisie sera une société démocratique, un modèle pour le monde arabe », a-t-il récemment dit à Istanbul, approuvé par les dirigeants de l’AKP. Modeste, Ghannouchi annonce qu’il veut gouverner au sein d’une coalition, « pour au moins cinq ans ».
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