TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

mardi 1 mars 2011

Sarkozy-Juppé : de l'agacement aux intérêts mutuels

Si les mariages de raison tiennent mieux que les mariages de passion, l'alliance entre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé a de beaux jours devant elle. Et sera peut-être l'un des outils d'un rebond présidentiel. Conclue en novembre, renforcée dimanche, elle révèle un intérêt réciproque qui a fini par l'emporter au terme d'une histoire aussi longue que compliquée. Où l'agacement mutuel semblait être le seul indice de leurs relations.

Le président de la République avait besoin de la solidité du maire de Bordeaux pour retrouver une crédibilité noyée dans le maelström des mauvais sondages. L'ancien Premier ministre avait besoin de l'offre ministérielle de son cadet pour échapper au désoeuvrement d'une retraite paisible mais mortifère. Juppé a été payé comptant : voilà bien longtemps qu'il n'avait pas entendu autant d'éloges ; Sarkozy a un an pour engranger les bénéfices politiques de sa main tendue. Finalement, les deux frères ennemis en chiraquisme - le fils préféré et le fils rebelle -se servent l'un à l'autre de bouée de sauvetage.

Dans cet attelage inattendu il y a quelques mois encore, la lucidité est gage de solidité. Les deux hommes ont beau être de grands affectifs, chacun à sa manière, ils ont tous les deux appris de Jacques Chirac que la survie politique primait sur l'amour-propre.

Au moins n'ont-ils jamais fait semblant. Au mois d'août, sollicité pour revenir au gouvernement, Alain Juppé feint d'hésiter devant Nicolas Sarkozy à « monter sur le "Titanic" ». Comment lui dire avec plus d'insolence : « Cette fois, c'est toi qui as besoin de moi » ? Fier de son bon mot, il le répète à des journalistes, devant qui il ne cache pas son opposition au tournant sécuritaire que le président a pris une nouvelle fois avec son discours de Grenoble.

Autrement dit, il fait avec Sarkozy ce qui l'avait tant agacé chez lui : rapporter à l'extérieur ses entretiens privés. C'est peu dire que ces « conditions » publiquement énoncées par son prédécesseur à la tête de l'UMP ont énervé le chef de l'Etat. « Juppé, c'est bien lui qui avait réussi à la fois à reculer sur les réformes et à mettre 2 millions de personnes dans la rue », maugréait-il, fort de son succès sur les retraites. « Il incarne cette droite que les Français détestent. » Une confidence faite moins de quinze jours avant d'en faire le numéro 2 de son gouvernement. « Evidemment, il raconte n'importe quoi », rétorqua Juppé avec un même agacement qui ne l'a, malgré tout, pas dissuadé de monter sur le « Titanic »...

Après tout, ce mode de relation n'est pas nouveau entre eux. Mars 2002, en pleine campagne pour la réélection de Jacques Chirac, les deux hommes pensent à leur avenir. Ils déjeunent en tête à tête. Le lendemain, « Le Figaro » rapporte un deal : Juppé soutiendra la candidature de Sarkozy à Matignon ; le second aidera le premier à prendre la présidence de l'UMP qui se prépare. Stupeur en Chiraquie, où la mise en orbite de Jean-Pierre Raffarin est déjà programmée. Le maire de Bordeaux enrage : « Ce type est vraiment impossible. On ne peut rien lui dire sans que ça se retrouve dans la presse. » Sarkozy accuse Juppé de lui avoir menti. Juppé reproche à Sarkozy de l'avoir trahi.

30 janvier 2004. Le ministre de l'Intérieur est en déplacement en Corse quand il apprend la condamnation de l'ancien secrétaire général du RPR à dix-huit mois de prison avec sursis et dix ans d'inéligibilité dans l'affaire des emplois fictifs du parti de Jacques Chirac. On s'attendait au soulagement cynique de celui qui voyait s'exiler un rival dangereux sur le chemin de l'Elysée. On assiste au contraire à la colère froide d'un Nicolas Sarkozy privé d'un combat qu'il se disait sûr de remporter : « Le problème de Juppé, c'est pas la justice, c'est lui. Jamais les Français ne l'éliront à l'Elysée. » Lui ravir l'UMP, il en rêvait. Mais grâce aux militants. Pas aux juges.

Des anecdotes qui appartiennent au passé ? Certes, mais cette histoire les a rendus suffisamment lucides l'un sur l'autre pour ne pas construire leur relation nouvelle sur des illusions. Chacun, désormais, entend profiter de l'autre, dans un accord « gagnant gagnant ».

Sonné par sa défaite aux législatives de 2007, lentement rattrapé par l'état civil - il a fêté ses soixante-cinq ans le 15 août 2010 -, Alain Juppé a, de son propre aveu, saisi le remaniement de novembre dernier comme le « dernier train » pouvant le conduire au premier rang de la vie politique. Quelques jours ont suffi pour que les élus qui lui en voulaient après les grèves de 1995 et la défaite de 1997, et la presse qui l'avait délaissé, lui tressent à nouveau des lauriers, comme au temps de ses premières années heureuses au Quai d'Orsay. Le sage de Bordeaux, respecté mais tenu à distance de Paris, est redevenu la coqueluche d'un système médiatico-politique toujours en quête d'une « valeur » à porter aux nues. Merci Sarkozy ? Juppé est trop orgueilleux pour croire que ce retour en grâce tient à autre chose qu'à ses propres mérites.

Nicolas Sarkozy voit de son côté, et pour la première fois depuis longtemps, un choix mis à son crédit. Y compris à gauche. S'il parvient à sauver sa politique étrangère, ce sera en partie grâce à l'image du nouveau locataire du Quai d'Orsay. Merci Juppé ? Le chef de l'Etat est trop orgueilleux pour croire qu'un rebond possible tienne à autre chose qu'à ses propres mérites.

Le triomphe de Juppé a pour autre vertu de relativiser celui de François Fillon, il y a trois mois. Au lendemain du remaniement, la rivalité entre le Premier ministre et le nouveau chef de l'UMP, Jean-François Copé, est apparue au grand jour. Que cette bataille-là se joue désormais à trois, un « quadra », un « quinqua », un « sexa », n'est pas pour déplaire au président de la République. La pluralité des alternatives est sa meilleure protection pour 2012.

0 commentaires: