TOUT EST DIT

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mardi 1 mars 2011

Printemps arabe et maladie hollandaise

Les dictatures sont des constructions étranges. Vues de l'extérieur, elles paraissent indestructibles. Entre lâcheté, lassitude et nécessité, leurs voisins, leurs clients, leurs fournisseurs en viennent à composer avec ces blockhaus de béton armé. Et pourtant... elles pourrissent toujours de l'intérieur, comme le poisson pourrit toujours par la tête. Un beau jour de printemps ou d'hiver, elles s'effondrent, dans un effet domino plus ou moins étalé dans le temps. La chute provoque alors la stupeur. Prend les partenaires à contre-pied. Provoque des doutes sémantiques - tel chef d'Etat semble alors découvrir des régimes « autoritaires », tel journaliste parle de « villes libérées » alors qu'il n'avait jamais évoqué auparavant de villes « emprisonnées » ou « occupées ». Et surtout, la chute ouvre une gigantesque période d'incertitude. C'est ce qui pourrait s'amorcer aujourd'hui sur tout l'arc musulman centré sur le Proche-Orient.

Ce n'est pas la première fois que chutent des dictatures vermoulues. Il s'est passé la même chose en Amérique latine dans les années 1980 avec l'Argentine (1983), l'Uruguay (1984), le Brésil (1985) puis le Chili (1989). Puis dans l'est de l'Europe avec la chute du mur de Berlin en 1989 et l'implosion de l'URSS en 1991. Chacun de ces événements a été mal évalué au départ, d'autant plus qu'il est arrivé par surprise. Il avait été jugé impossible par les experts occidentaux des régions concernées. Rares sont ceux qui eurent la pertinence et l'impertinence d'un Emmanuel Todd, prédisant la dislocation de l'Union soviétique dès 1976 à partir de courbes démographiques inquiétantes sur l'espérance de vie (une démographie aussi présente sous les événements actuels : le nombre de jeunes âgés de vingt à trente ans a ainsi augmenté de 140 % en Egypte en trente ans contre 100 % pour la population totale). Les dirigeants du PS accusant aujourd'hui Nicolas Sarkozy de n'avoir rien vu venir en Afrique du Nord devraient se souvenir de l'entêtement de François Mitterrand début 1990, demandant à l'Allemagne l'engagement solennel de respecter la frontière avec la Pologne (la ligne Oder-Neisse). Lui aussi avait regardé un événement du présent avec les lunettes du passé.

La chute des dictatures qui s'enclenche au Proche-Orient, avec la Tunisie et l'Egypte hier, la Libye aujourd'hui et des frémissements du Maroc au Yémen, se joue cependant dans un monde trois fois différent - ce sont les trois « i » du printemps arabe. Les deux premiers ont été largement commentés. C'est le « i » d'Internet, qui a joué un rôle d'accélérateur et d'amplificateur. Et le « i » d'islam, point commun des pays touchés. Point d'interrogation aussi, tant le champ des possibles semble large entre la laïcité turque et la théocratie iranienne.

La troisième spécificité, le troisième « i », ce sont les institutions. Car à l'inverse des pays de l'Est de l'Europe ou de l'Amérique latine, les pays musulmans du Proche-Orient n'ont pas ou peu de tradition démocratique. Les colonisateurs avaient préféré s'appuyer sur des rois de pacotille plutôt que se risquer à organiser des élections. Leurs héritiers ont continué, comme le montraient les excellentes relations de Paris avec le régime Ben Ali en Tunisie ou celles de Rome avec Kadhafi en Libye. Les peuples qui ont renversé ces régimes avec un incroyable courage vont devoir créer leurs modèles, leurs institutions. Beaucoup d'entre eux ont ici un atout... qui est aussi un boulet : leur sol regorge de gaz ou de pétrole.

Les économistes ont analysé depuis un demi-siècle la « maladie hollandaise » qui frappe les pays riches en ressources naturelles. L'accroissement de leurs exportations provoque une réévaluation de leurs devises qui freine leur développement industriel. Cette maladie n'est pas seulement économique, elle est aussi politique. Au Proche-Orient comme ailleurs, les pays bourrés de pétrole ont géré les problèmes par l'argent - ce que tente à nouveau Mouammar Kadhafi en Libye ou le roi Abdallah en Arabie saoudite. Ils n'ont pas constitué de cadre politique. Ils ont tous des institutions fragiles, de l'Arabie saoudite (20 % des réserves mondiales, selon BP) à la Libye (3 %) en passant par le Venezuela (13 %), l'Irak (9 %), le Koweït (8 %), les Emirats (7 %) et la Russie (6 %). L'un des plus grands défis du printemps arabe sera de trouver un vaccin contre le « dutch disease ».

1 commentaires:

Unknown a dit…

Si comme vous le dites, les peuples arabes qui ont renversé leurs régimes avec un incroyable courage vont devoir créer leurs modèles et se chercher de nouvelles institutions avec un grand atout pour les pays dont le sol regorge de gaz ou de pétrole, au Maroc ce n’est ni l’un ni l’autre cas. Le Maroc a des institutions vieilles de plusieurs siècles qui connaissent un changement constant suivant son environnement géographique immédiat. Certes le royaume n’a pas encore la manne pétrolière, mais avec le budget dont il dispose il a pu ouvrir durant la dernière décade plusieurs mégaprojets, dont l’impact sur la population n’est pas immédiat à cent pour cent, mais il faut en faire le bilan à moyen terme. N’empêche que le pouvoir en place qui a déjà engagé des réformes dans divers secteur, est probablement contraint d’en accélérer le rythme et de mener une lutte sans merci aux maux qui rongent encore la société ou faussent le jeu de la démocratie (corruption, clientélisme, despotisme, bureaucratie etc.). Ce qui est sûr, le Maroc, même s’il est encore confronté aux problèmes de la pauvreté et du chômage chez les jeunes demandeurs d’emploi, il a par contre une bonne longueur d’avance dans les questions de démocratie et de respect des droits humains contrairement à plusieurs autres pays arabes.