Après un court séjour dans ce pays, que dire de la situation et de l’avenir, que dire aussi des réactions et ce qu’on pourrait attendre tant de l’UE que de la France ?
La première impression en arrivant pour la première fois après la révolution « du 14 janvier 2011 » dans ce pays où j’ai vécu et que je fréquente assez régulièrement peut se traduire par les traits dominants suivants :
- une fantastique volonté de s’exprimer et de profiter pleinement de cette libéralisation de la parole
- une anxiété face à l’avenir aujourd’hui incertain alors qu’il fut si longtemps prévisible, dans la sécurité mais aussi la contrainte
- une formidable aspiration à une situation socio-économique meilleure
- une grande fierté d’avoir été ainsi à l’avant-garde de la libéralisation arabe
- une très grande déception face à l’attitude de la France jugée fidèle à sa compromission avec l’ancien régime, au-delà de l’acceptable, et incapable de comprendre les enjeux
- une forte résignation vis-à-vis de l’UE manifestement pas consciente de l’importance des défis et des besoins à court terme.
Si chacun en Tunisie s’exprime, du chauffeur de taxi à l’employé de banque, sans omettre l’universitaire et l’ancien ministre, c’est pour dire sa foi en l’avenir et sa fierté d’être tunisien, à la pointe du progrès démocratique dans le monde arabe, mais aussi pour faire partager ses craintes face à :
- une insécurité jugée inquiétante
- un gouvernement soupçonné de soumission aux tenants de l ‘ancien régime
- des actions de destructions imputées aux hommes de main de l’ancien régime ou aux voisins régionaux
- une absence de progrès immédiats.
Une tâche lourde et délicate pour Caïd Essebsi
Il est bien difficile dans tout cela de faire la part des rumeurs et des fantasmes. L’instrumentalisation est partout et multiforme, de l’attribution du meurtre de ce prêtre en février aux islamistes avant d’en découvrir le mobile crapuleux, en passant par les doutes entretenus sur le devenir des membres des familles Ben Ali et Trabelsi supposés détenus, mais vis-à-vis desquels courent toutes les hypothèses.
Il est certain que ce type de situation est assez courant, historiquement, dans le prolongement des révolutions. Il est aussi la conséquence de la liberté d’expression et d’informations : les faits divers sont aujourd’hui connus, les avis divergents peuvent s’exprimer.
La société découvre la nécessité de filtrer, évaluer, critiquer des informations multiples, alors qu’elle était habituée à un politiquement direct imposé sans remise en cause possible.
L’impression dominante est donc celle d’une très grande incertitude. Rien n’est gagné alors que tout un chacun s’emploie à faire preuve d’optimisme.
Le chef du gouvernement était excessivement contesté, il n’était plus en mesure d’exercer son mandat et avait d’ailleurs commis de nombreuses maladresses ; il est remplacé depuis le 27 février par M. Caïd Essebsi. Cet ancien ambassadeur et ancien ministre est un homme auquel son grand âge confère une très grande expérience sans lui enlever une pugnacité et une hauteur de vue rares. Il possède des qualités exceptionnelles de détermination, d’attachement à la défense des intérêts de son pays et des compétences remarquables dans le domaine des relations internationales.
Il s’engage dans une tâche lourde et délicate au service de son pays mais sera inévitablement contesté.
Il appartient aux Tunisiens de se déterminer
Dans cette période agitée et troublée c’est la règle. Chacun ne voit que son intérêt immédiat : l’esprit de vengeance est présent, le désir de revanche est perceptible … de nombreux acteurs - qu’ils n’aient jamais quitté le pays, qu’ils reviennent d’exil ou se présentent subtilement comme des recours expérimentés après une carrière à l’étranger - ne sont pas tous légitimes aux yeux des Tunisiens qui ont eu à endurer les humiliations de l’ancien régime.
Leurs liens avec les dirigeants de ce même régime sont d’ailleurs souvent patents et rien ne prouve qu’ils en soient aujourd’hui délivrés.
Tout se sait en Tunisie et la société est extrêmement vigilante vis-à-vis du risque de se faire confisquer « sa révolution ». Ses craintes ne sont pas infondées. Des ennemis de la « révolution du 14 janvier » rôdent en Tunisie comme autour d’elle. Mais il est indéniable que cette suspicion généralisée nuit fortement au redémarrage du pays.
Il appartient aux Tunisiens, et à eux seulement, de se déterminer. Ils en ont les moyens et les capacités. Aucune ingérence n’est légitime ni acceptable.
Souhaitons que le nouveau Premier ministre sache conquérir la confiance de son peuple, répondre à ses attente notamment en matière de transparence et de liberté vis à vis des pressions des tenants de l’ancien régime et enfin sache rassembler les forces vives pour relancer l’économie.
Une refondation des politiques
Mais alors quelle attitude pour la France, voire l’Union européenne ?
Il est certain que l’évolution de la situation appelle à une refondation des politiques vis à vis de nos amis et partenaires du Sud et de l’Est méditerranéen. La ligne directrice devrait s’articuler autour de deux axes d’effort : soutenir les évolutions de ces sociétés qui sont parvenues par elles-mêmes à se libérer de leurs chaînes et écouter les besoins de ces pays nouvellement affranchis des autoritarismes qui sévissaient depuis leurs indépendances.
Il convient pour cela de fixer un cadre et des outils.
Il semblerait tout à fait approprié d’adopter le cadre du partenariat euro-méditerranéen, neutre et ouvert, placé sous la conduite des ministres des Affaires étrangères.
Quant aux outils, ils doivent matérialiser le souci d’écoute des pays Sud et Est méditerranéens. Il peut être envisagé, pour cela, de créer des instances de concertation entre Premiers ministres qui permettraient d’identifier les pistes de coopération répondant prioritairement aux attentes des partenaires.
Il semble évident que l’aide est attendue en premier lieu sur le plan de l’emploi, puis de la sécurité alimentaire, voire de la ressource en eau. Mais comment faire pour répondre à ces enjeux dans un délai cohérent avec les besoins immédiats et les attentes des populations ? Seule une véritable concertation débouchant sur un partenariat sincère pourra contribuer à apporter des réponses utiles.
L’échec des révolutions entamées au Sud impliquerait un retour en arrière vers des autoritarismes laïcs ou religieux dommageables pour les pays concernés, mais tout aussi dommageables pour les pays du Nord. Spécifiquement pour leur sécurité. C’est à ce titre que le succès de ces Révolutions constitue un véritable défi pour les pays occidentaux.
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