Cinq heures. C'est le temps que Nicolas Sarkozy passera, aujourd'hui, sur le sol turc. Cinq heures en tant que président du G20. Une visite de travail et non un voyage officiel. Vu de Turquie, cela paraît bien peu. Très inconvenant pour un pays si conscient d'être redevenu une puissance incontournable, un facteur de stabilité plutôt rare dans une région en pleine ébullition.
Pour mesurer ce nouveau poids, le point de vue et l'objectif, comme en photo, sont essentiels. Le premier est évident si l'on se place sur les rives du Bosphore. Le carrefour sur lequel s'étend l'espace turc, entre l'Europe et l'Asie, frontalier de l'Iran, de l'Irak, de la Syrie, près du Caucase et de la Russie, dit tout.
Quant à l'objectif privilégié désormais par les dirigeants turcs, ce n'est plus la longue vue qui permettait aux élites kémalistes de lorgner, rêveurs, sur l'Occident, mais un grand angle. La Turquie n'est plus un vaste pays pauvre frappant, en vain, à la porte de l'Europe. C'est une économie en pleine croissance, une puissance qui se représente désormais au centre d'un espace d'intérêts, sinon d'influence, et tisse des liens économiques, politiques, diplomatiques et culturels à 360°.
Dès lors, la question de l'adhésion d'Ankara à l'Union européenne n'est plus centrale. Son refus, dont le président français est le principal représentant, non plus. Les sondages turcs montrent un effritement sensible du soutien à l'adhésion. Après tout, l'euroscepticisme des Européens eux-mêmes ne peut que faire tâche d'huile. Officiellement, l'adhésion reste un objectif. Est-ce une priorité ? De moins en moins. « Le monde ne s'arrête pas à l'Union européenne », affirmait récemment le président turc, Abdullah Gül.
Formidable levier de développement économique et de démocratisation, le dialogue avec l'Europe est éclipsé par d'autres urgences. Avec 8 % de croissance, l'an dernier, le business turc s'étend tous azimuts : Asie centrale, Proche-Orient, Afrique du Nord, mais aussi Chine, Japon, Afrique subsaharienne.
Parallèlement, Ankara déploie, depuis plusieurs années, une diplomatie très active, notamment en direction du monde arabe, au détriment de la relation purement stratégique et militaire qui, au sein de l'Otan, en faisait la franche alliée d'Israël. L'affaire de la flottille pour Gaza a eu valeur de symbole de cette évolution et un impact considérable dans l'opinion des pays arabes, ouvrant un boulevard à la diplomatie turque pour exercer un rôle de premier plan dans la région.
Culturellement aussi, la Turquie fait tout pour devenir un pôle d'attraction. En tant que pays musulman qui a fait progresser son niveau de vie et son fonctionnement démocratique sans renier son identité. Les séries TV turques font un tabac dans de nombreux pays arabes. Tout cela fait rayonner ce pays et occulte les manquements, pourtant graves, à la démocratie en matière de justice et de liberté de la presse, ou les tentations autocratiques du pouvoir sans partage de l'AKP d'Erdogan.
Pour toutes ces raisons, le dialogue avec l'interlocuteur turc, pays émergent le plus proche de nous, ne peut plus être paralysé par la question de l'adhésion. Négocier ne veut pas dire conclure. L'Europe a encore un pouvoir de conditionnement vertueux pour le cheminement vers plus de démocratie en Turquie. Elle a, en outre, tout à gagner de la stabilité prônée et recherchée par Ankara. Cela mérite plus qu'une visite de travail.
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