TOUT EST DIT

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dimanche 20 février 2011

Algérie: Une révolution impossible?

Alors que l’opposition peine à rassembler, malgré la colère sociale, le régime a de nouveau réprimé une manifestation hier à Alger 

Cela devait être comme en Egypte ou en Tunisie: un nouveau rassemblement pacifique pour demander un changement de système. Cela aura été une nouvelle démonstration de force du régime. Samedi, dans les rues d’Alger, les autorités ont choisi, comme la semaine passée, la répression en déployant des milliers de CRS pour quadriller la capitale. Les manifestants, répondant pour le deuxième samedi d’affilée à l’appel de la Coordination nationale pour la démocratie et le changement (CNDC), n’ont même pas pu atteindre la place du 1er-Mai, point de départ de leur marche. C’est dans la grande rue Belouizdad et les ruelles adjacentes que quelques centaines d’entre eux ont dénoncé le "pouvoir assassin", hurlé que "le peuple veut la fin du régime". Ils n’ont pas crié bien longtemps. Avec une science certaine du maintien de l’ordre, les CRS les ont dispersés. N’hésitant pas à les molester, selon des organisateurs de la marche qui dénombrent dix blessés dont un député du RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie, parti d’opposition membre de la coordination).
A première vue, le gouvernement est parvenu à ses fins: tuer la contestation dans l’œuf. Mais cette démonstration de force se révèle aussi un bel aveu de faiblesse. "S’ils n’ont pas peur de nous, pourquoi nous envoyer autant de flics?", s’interroge un des contestataires.

Des conditions qui rappellent l’insurrection tunisienne

Le régime n’ignore pas que le pays est en pleine ébullition. Pas un jour sans conflit social, sans critique du régime. Ras le bol de la corruption, des passe-droits, de ces fortunes bâties en quelques années alors que la majorité ne voit pas la couleur des 150 milliards de dollars de réserve dont le pays dispose grâce à la rente pétrolière. Des conditions qui rappellent les débuts de l’insurrection tunisienne. "Des similitudes existent entre les deux situations, confirme l’historien Benjamin Stora. En Algérie aussi, il y a un président âgé et usé, une vraie demande de liberté, le sentiment que le système est totalement bloqué."
Début janvier, le pays a cru qu’il allait lui aussi plonger dans le grand bain de la révolution. Des émeutes ultraviolentes avaient fait cinq morts et plus de 800 blessés. Un déversement de rage que le pouvoir est parvenu à contenir en revenant sur des décisions économiques impopulaires. Pour autant, la haine n’a pas disparu. Chez Djamel, elle est même restée intacte. Le jeune homme de 33 ans a été de ceux qui, en janvier, ont "balancé pendant quatre jours des pierres et des bouteilles sur les CRS". Cet enfant de Bab el-Oued, le quartier populaire d’Alger, est à l’image d’une jeunesse algérienne sinistrée: sans boulot après avoir été cantonnier au noir pendant dix ans. Il vit chez ses parents, "un F3 où on s’entasse à sept". Pour vivre, il fait comme les autres: du commerce informel, "de la débrouille". Pour le reste, il y a le "football et la drogue. Le pouvoir voudrait qu’on se contente de ça". Sauf que Djamel, qui déteste l’Etat mais en attend tout, a d’autres désirs: "Pas grand-chose, juste un boulot, un logement, me marier… S’ils ne font rien, dans quatre ou cinq ans il y aura la guerre civile."
Quatre ou cinq ans? Pourquoi ne pas profiter de la contestation actuelle? "Ces gens ne se battent pas pour nous mais pour leurs propres intérêts." Les jeunes d’Algérie pacifique, ce groupe sur Facebook qui appelle à un changement de régime? "Facebook, on sait même pas ce que c’est", coupe Sofiane, l’un de ses copains qui aussi a caillassé du flic en janvier.
Difficile, dans ces conditions, de voir émerger un vrai mouvement de masse. Le constat est indéniable: la contestation menée par la CNDC reste embryonnaire. "Mais c’est le début de quelque chose", affirment en chœur ses membres, convaincus que le vent de la révolte va bientôt souffler ici.
Mais l’Algérie n’est pas la Tunisie ni l’Egypte. Ici, aucune classe moyenne n’a véritablement émergé. Ici, Internet n’a pas pénétré la société. Ici, les combats sociaux n’ont pas tous vocation à remettre en cause le régime. "C’est une tradition algérienne: rarement les jacqueries ont été converties en combat politique", assure le sociologue Nasser Djabi.

Une méfiance qui touche tous les partis

Et puis la révolution, les Algériens ont déjà donné. C’était il y a plus de vingt ans, en 1988. S’en sont suivis un pluralisme de façade et une guerre civile de vingt ans qui a fait 200.000 morts et laminé toute la société. "Je ne veux pas revivre ces années-là, explique Djamel. J’ai vu des gens se prendre des balles dans la tête, des personnes égorgées."
Depuis, la priorité est donc de se concentrer sur son seul destin. "Les jeunes nés pendant cette guerre civile sont totalement dépolitisés, confirme Benjamin Stora. Ils se méfient de l’Etat autant que des politiques." La plupart des Algériens sont convaincus qu’aucun parti n’a échappé à une infiltration des services de renseignement et que toute initiative cache forcément des objectifs inavouables. Cette règle vaut aussi pour la CNDC. "Pour regagner leur confiance, il va falloir faire un vrai travail de terrain. Cela va prendre du temps", prédit Idir Achour, du CLA, un syndicat de profs non reconnu.
D’autant que cette culture du soupçon a aussi contaminé la CNDC, déjà affaiblie par la non-participation de certains partis d’opposition comme le FFS (Front des Forces socialistes). "Chacun tente de tirer la couverture à soi", confie l’un de ses membres. Selon un autre, elle pourrait exploser dans les prochains jours.
Cela signera-t-il la fin du combat? "Pas du tout, assure Amine Menadi, un jeune manager d’une multinationale, blogueur, devenu l’un des leaders d’Algérie Pacifique. Un nouveau mouvement va se créer, sans parti politique. Et là, les jeunes nous rejoindront."
Le gouvernement est cependant prêt à la parade. Le Premier ministre a promis la fin de l’état d’urgence mis en place en 1992. De nouvelles mesures sociales devraient aussi être annoncées. "C’est toujours ça de gagné, affirme Amine. Mais on ne perd pas notre objectif: que ce système tombe." D’autres membres de la coordination sont moins optimistes. Comme Samir Larabi, représentant du Comité pour la défense des droits des chômeurs. "Si on n’arrive pas à mobiliser davantage avant le début de l’été, ce sera un échec. Nous serons alors face à une nouvelle occasion ratée, une vraie défaite."

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