TOUT EST DIT

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dimanche 20 février 2011

Le ciel et la rue

Longtemps, la vie politique arabe a été captée par des partis monolithiques (le FLN algérien, le RCD tunisien, le PND égyptien, le parti Baas en Syrie et en Irak), eux-mêmes appuyés sur de solides relais syndicaux, associatifs et militaires. Il faut se souvenir de toute cette architecture enchevêtrée pour mesurer l’étonnant dégel de ce début d’année. La priorité n’est plus de conspuer rituellement Israël ou les Etats-Unis (ce qui évitait de balayer devant sa porte) mais de revendiquer, ici et maintenant, une politique soucieuse des urgences populaires.

La liberté de parole devient une revendication élémentaire ; on s’encourage du Caire à Benghazi et d’Alger à Aden malgré les brutalités policières. C’est le choc de deux univers conceptuels, de deux façons de penser le rapport à l’autorité ; on est très près de ce qu’a vécu l’Europe centrale il y a un peu plus de vingt ans.

C’est aussi le choc de deux classes d’âge. En Afrique du nord et au Proche-Orient, les moins de 25 ans forment grosso modo la moitié de la population. A l’heure d’internet et des médias interactifs qui ridiculisent définitivement les indigentes télévisions d’Etat, les jeunes adultes sont d’autant moins disposés à la discrétion que la crise économique a cassé le fragile essor du début des années 2000. Ce sont eux qui ont entraîné leurs aînés dans le mouvement.

Les révoltes d’aujourd’hui sont transversales. C’est leur force, par leur remarquable capacité d’agglomération, et leur faiblesse, faute de leaders affirmés. Il n’y a pas de Lech Walesa, comme dans la Pologne des années 1980. Les islamistes tâtonnent. Ils n’ont pas été les déclencheurs de la révolte mais commencent à sortir du bois. On l’a vu vendredi à Tunis lors d’une manifestation contre la prostitution, qui est une façon commode d’imposer une norme sociale sous couvert de morale et de décence féminine.

L’euphorie de la victoire remportée contre deux autocrates ne cachera plus très longtemps les rapports de force. Avec cette grande question : la réponse religieuse a-t-elle gardé la force de séduction qu’elle avait en Algérie quand le Front islamique du salut était derrière chaque éruption socio-politique ? En vingt ans, les priorités et les méthodes ont beaucoup changé. C’est pourquoi certains, aujourd’hui, se détournent ouvertement des exhortations mystico-politiques et lorgnent vers l’habileté tactique des islamo-conservateurs installés en Turquie.

On sent bien que les mollahs iraniens et les salafistes du Maghreb voudraient orienter cette redistribution des cartes, mais ce sont les pragmatiques de l’AKP au pouvoir à Ankara qui, tranquillement, contemplent ces bouleversements où le ciel tient décidément moins de place que la rue.


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