TOUT EST DIT

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dimanche 20 février 2011

La brèche

Vue depuis notre balcon méditerranéen, l'Histoire, sur la rive d'en face, fait spectacle. Cet embrasement de dictatures, l'une après l'autre, par le cordon incendiaire de la liberté, nous l'aurons contemplé comme un feu d'artifice, comme le 14 Juillet de la rive arabe. Dans l'orage libertaire, nous lisions, nous aimions lire, nous voulions lire des promesses inattendues. Puis, les jours passent ; et l'on se frotte les yeux."Nous voyons le tournant mais nous ne voyons pas la route." (1) Où mène-t-elle au juste ? Qui le sait ? Un grand frondeur suggérait qu'"on ne va jamais aussi loin que lorsque l'on ne sait pas où l'on va"...

En Egypte, le pharaon-général quitte la place, remplacé par un quarteron de militaires. Les rabat-joie disent : "Un raïs chassera l'autre, le régime ne change pas, la démocratie est dans le noir..." C'est lire dans le marc de café. Que sera l'élection présidentielle promise ? Et qu'y pèseront les Frères musulmans ? Ils n'en savent rien et nous non plus !

Le sûr, c'est que le soulèvement aura du moins charrié l'aspiration populaire à la liberté. Il brandit son message dans la plus rétive des civilisations. Il exalte la valeur la plus chère de l'Occident et nous rassure sur son universalité. La liberté, il est possible qu'un proche avenir l'endorme ou l'étrangle. Mais elle aura percé une chape de plomb. L'espérance démocratique, si illusoire soit-elle, aura traversé de ses éclairs un espace stérile."La démocratie n'est pas dans la culture égyptienne", prédit Souleiman, homme lige de Moubarak. Possible ! Mais le souvenir de la révolte rôdera longtemps sous les casquettes des généraux et les keffiehs des princes.

D'autant que cet orage de liberté aura explosé sous la catalyse de trois phénomènes en expansion : une misère populaire aiguisée par la crise ; une jeunesse prolifique où les moins de 30 ans atteignent, ici ou là, la moitié des vivants ; le flux libertaire des télévisions, d'Internet, de Facebook et autres Twitter.

On y voit le monde en mouvement, l'éclosion de peuples délivrés du dénuement en Asie, en Amérique latine. La jeunesse, les femmes, la technologie répandent le mimétisme vertueux de la modernité. Et, du même coup, elles accusent la sclérose du système arabo-musulman. Dans sa culture de la soumission et du fatalisme, elles ouvrent une brèche. Peut-être un tunnel dont on ignore l'issue. Mais la brèche est faite.

Le vent qui s'y engouffre réveille une civilisation brillante mais éteinte et qui inflige à ses peuples le fiasco économique et moral. La loterie pétrolière et la bonne fortune de ses privilégiés n'y font qu'accuser l'incurie générale jusqu'à inventer, en Algérie, en Libye, des pays riches... à peuples pauvres.

La petite Tunisie, parce que mieux éduquée, laïcisée, occidentalisée, peut espérer tailler en pionnière sa route vers l'émancipation politique. Mais la bourrasque de liberté ne changera pas de sitôt le sort des 80 millions d'Egyptiens : 50 % d'analphabètes et 70 % de misérables à moins de 3 euros par jour. Du haut des pyramides, cinquante siècles contemplent ce fatal affaissement.

Si "fatal" que nombre d'historiens ont cherché, dans l'islam, sa cause première. Et dans l'empire d'Allah sur le gouvernement des hommes une inclination, en effet fatale, de la prosternation jusqu'à la soumission. C'est ce diagnostic - renforcé par l'avènement de la théocratie iranienne - qui aura présenté l'islam comme la seule solution alternative au despotisme. Un épouvantail pour l'Occident !

Sans optimisme naïf, on constate que l'islamisme radical, celui du djihad et de la guerre à l'Occident, n'a pas investi les luttes sociales et nationales du Maghreb et du Machrek. Et même que la réislamisation impressionnante de toute la région (port du voile, nombre de mosquées, prêches télévisuels) a plus concurrencé que nourri l'islamisme messianique."Le paradoxe de cette réislamisation, c'est qu'elle a largement dépolitisé l'islam", avance un expert réputé (2).

Conclusion : le sort du printemps arabe appartient à l'islam et à ses fidèles. Ils peuvent accueillir ou dévorer les enfants de la Révolution. Les partis islamiques - l'Ennhada tunisienne, les Frères musulmans d'Egypte - abordent un carrefour décisif. Voudront-ils un islam à la turque, apte à composer, sous contrôle militaire, avec la laïcité de l'Etat ? Ou un islam plus radical, qui, sans imposer la loi divine de la charia, en retiendrait l'esprit et divers codes moraux, au grand dam des laïques... et des femmes ? Leur direction se cherchera dans une mêlée encore inextricable. Pèseront les choix du sérail militaire, la dynamique laïque des nouveaux acteurs politiques, l'impatience de la misère populaire, le ressac de l'antisionisme et de la xénophobie, le remue-ménage externe des chiites et sunnites... Autant de tourbillons pour un fleuve jamais tranquille ! Il coule sous notre balcon.

1. Roger Pol-Droit. 2. Olivier Roy.

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