TOUT EST DIT

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jeudi 9 décembre 2010

La Russie a son WikiLeaks à elle

Apparu samedi 4 novembre, le site Rospil éclaire d'un jour cru le problème de la corruption en Russie. Et pourtant son fondateur, Alexeï Navalny, le "Julian Assange russe", n'a eu accès à aucun document secret, à aucune note diplomatique confidentielle.
A l'inverse de WikiLeaks, tout ce qui est publié sur Rospil (contrats, budgets des grands chantiers, rapports de la Cour des comptes) devrait, si le pays n'était pas aussi enclin à l'opacité, faire partie du domaine public. D'autant que le rospil, qui désigne, dans la langue de Pouchkine, l'action de piller des fonds (de préférence, ceux de l'Etat), intéresse au plus haut point le public russe. Surtout en période de crise et d'inflation, quand tout augmente inconsidérément, y compris les pots de vin !
Alexeï Navalny n'a pourtant rien d'un Julian Assange. Il est, de son propre aveu, "un petit moustique dont les piqûres font mal". Cet avocat de 34 ans, regard bleu à la Bruce Willis et tête bien faite, séjourne actuellement à l'université de Yale aux Etats-Unis, où il a décroché une bourse. Depuis des années, ses révélations captivent la blogosphère russe.
En octobre 2010, il a accusé le groupe public Transneft, détenteur du monopole des oléoducs en Russie, d'avoir détourné des sommes rondelettes lors de la construction du tube Sibérie-Pacifique, un réseau stratégique de 5 000 kilomètres vers la Chine et le Japon.
Sur la foi d'un rapport de la Cour des comptes non révélé au public, l'avocat blogueur a pointé la disparition de 2,9 milliards d'euros (pour un budget total de 8,7 milliards d'euros) pendant la construction de l'oléoduc. Son argument a fait mouche : "L'Etat vole 1 100 roubles (26 euros) dans la poche de chacun de nous !".
Le plus déconcertant est que l'idée de construire ce réseau d'oléoducs revient à Mikhaïl Khodorkovski, l'ancien patron de la Major Ioukos, qui en avait parlé avant son arrestation en 2003. Mal lui en a pris. Condamné à huit ans de prison en 2005 pour fraude fiscale, l'ancien golden boy est aujourd'hui dans l'attente d'une nouvelle condamnation dans le cadre d'un second procès pour "détournement de pétrole". Dans l'intervalle, Ioukos, une entreprise autrement plus transparente que Transneft, a été démantelée.
Alors que les révélations de Navalny faisaient la une des journaux, le président de la Cour des comptes, Sergueï Stepachine y alla de son explication : les 3 milliards d'euros n'ont pas été volés mais "optimisés". Le lendemain, le premier ministre Vladimir Poutine fit encore mieux, adressant à Transneft un télégramme de félicitations "pour le bon travail accompli".
Au Kremlin, la corruption reste un sujet qui fâche. Fin octobre, le président Dmitri Medvedev a piqué une grosse colère en apprenant la surfacturation des scanners acquis par le ministère de la santé pour 2,2 milliards d'euros. Douze enquêtes criminelles ont été ouvertes, une demi-douzaine de hauts fonctionnaires ont été arrêtés.
Quelques semaines plus tôt, le "super-contrôleur" de l'administration présidentielle, Konstantin Tchouïtchenko avait reconnu que le budget était un vrai panier percé. Selon lui, rien qu'en 2009, 23 milliards d'euros sur les 115 milliards affectés par l'Etat aux grandes entreprises sous la forme de commandes "ont été détournés". Dmitri Medvedev apparaît un peu comme un Don Quichotte luttant contre les moulins à vents : ample gesticulation pour peu de résultats. Chaque jour apporte son lot de révélations, le public consomme et tout continue comme avant. Comme le fait remarquer Macha Guessen, la rédactrice en chef de la revue Snob, "en Russie nous avons comme une défaillance : les informations sont là, mais il n'y a aucune réaction".
Parfois la corruption est perçue comme une forme de liant économique et social. "C'est très commode" explique Maxime, un jeune journaliste, très satisfait d'avoir le matin même, glissé quelques billets à un policier pour que celui-ci ferme les yeux sur son passage au feu rouge.
"La corruption fait partie de notre vie quotidienne. On dit qu'elle permet de mettre un peu de graisse sur les roues oxydées de la bureaucratie et que sans cela, la machine bureaucratique risquerait de s'arrêter et derrière elle toute l'économie du pays. Est ce vrai ?" interrogeaient deux économistes dans un article du quotidien Vedomosti, le 7 décembre. Elena Panfilova, de Transparency International à Moscou, n'y va pas par quatre chemins : "la corruption fait perdre chaque année au budget entre 200 et 400 milliards de dollars".
Parfois les révélations sont cocasses. En 2009, la presse a suscité l'hilarité des lecteurs en divulguant la commande de mobilier faite par le ministère de l'intérieur (MVD). La facture mentionnait l'acquisition d'un lit "en bois de cerisier européen sculpté et doré à l'or fin 24 carats".
"Personne ne compte se noyer dans le luxe" avait alors rassuré le général-major Valeri Gribalkine, indiquant que la somme prévue pour la commande - 600 000 euros - était "optimale"".
Et quel destinataire ! Les meubles allaient devaient aller au département de la sécurité économique, installé avenue Novoriazanskoie à Moscou. Chargé de lutter contre l'économie grise et la corruption, ce département du MVD jouit de locaux à la mesure de sa tâche, soit 11 000 mètres carrés, qu'il a bien fallu meubler !

 Sur le Web : http://rospil.info.

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