TOUT EST DIT

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jeudi 9 décembre 2010

La Russie et le retour 
 du balancier pro-occidental

Un pas en avant, deux pas en arrière », disait Lénine. Les relations entre la Russie, l'Amérique et l'Europe sont-elles sur le point de faire un bond en avant ? Au sommet de Lisbonne de l'Otan en novembre dernier, les 28 membres de l'Alliance atlantique et la Russie ont amorcé un rapprochement que la chancelière allemande Angela Merkel avait jugé « historique ». Sur le papier, deux ans après la guerre éclair de Géorgie et l'amputation d'une partie du territoire de cette ancienne République soviétique par les troupes russes, les avancées entre « Occident » et Russie sont effectivement importantes.

La Russie et l'Otan ont ainsi accepté de coopérer sur l'étude du déploiement commun d'une défense antimissile en Europe. Une révolution copernicienne par rapport aux années Bush, marquées par des tensions extrêmes sur cette question. De plus l'Alliance, miraculée de la guerre froide, et l'ennemi d'hier ont décidé d'accroître leur coopération pour permettre aux forces américaines et à leurs alliés de transporter du matériel en Afghanistan -comme des camions blindés, non armés -à partir de la Russie, afin d'éviter le Pakistan.

De même les deux entités ont décidé de relancer certains des exercices militaires conjoints qui avaient dû être arrêtés à l'été 2008. Et sur les grands défis du XXI e siècle, la Russie et les Etats-Unis sont de plus en plus proches de partager une vision commune du monde qu'il s'agisse de la prolifération nucléaire, du terrorisme, de la piraterie, des catastrophes naturelles, voire de certains aspects des grandes migrations contemporaines. Tout se passe comme si la Russie était au seuil d'une adhésion à l'Alliance, sans évidemment ses contraintes militaires, sans son commandement intégré et vraisemblablement sans la solidarité des alliés en cas d'attaque contre l'un d'entre eux. Sur 95 % à 97 % des grandes questions stratégiques d'aujourd'hui, l'Otan et la Russie sont très proches, soulignait un responsable politique russe lors d'une rencontre à Paris organisée par Yannick Mireur, le rédacteur en chef de la revue « Politique américaine », dans le cadre du cycle de conférences « The Russia Nexus ».

Surtout, le dégel russo-atlantique ne s'arrête pas aux seules questions militaires et de sécurité, mais touche aussi la société civile et l'économie, comme le prouvent d'ailleurs les rencontres, informelles, entre industriels et politiques. Citons encore la volonté du Kremlin de retrouver les voies de la conciliation avec la Pologne en reconnaissant notamment la responsabilité soviétique dans l'abominable massacre des officiers polonais à Katyn de 1940, et par là la volonté de calmer ses relations avec l'Union européenne.

Au-delà d'intérêts communs de court terme, ce qui pousse aussi à ce rapprochement est sans aucun doute un grand mouvement tectonique de la géopolitique du monde marqué par la montée en puissance, économique mais aussi politique, de la Chine, de l'Inde dans une moindre mesure, et l'affaiblissement, relatif, des Etats-Unis. Sans que l'Europe ne parvienne réellement à s'affirmer.

La Russie de Poutine, elle-même, n'est plus l'ours blessé de l'après-Union soviétique, mais une nation qui cherche à retrouver sa place de grande puissance. La crainte de Moscou de voir une avancée américaine sur ses marches, en Ukraine notamment, a disparu très largement avec le retour au pouvoir à Kiev d'un gouvernement russophile. De même Washington a abandonné, en principe, son projet d'installer, sans concertation avec la Russie ni d'ailleurs avec ses alliés français et allemands, des radars et des batteries antimissiles en République tchèque et en Pologne. De quoi aussi soulager Moscou.

Ce rapprochement est aussi la conséquence directe, deux ans après l'arrivée à la Maison-Blanche de Barack Obama, de la politique dite du « bouton de redémarrage » des relations avec la Russie de la nouvelle diplomatie américaine.

La guerre en Géorgie a aussi joué son rôle. Elle a prouvé « les nombreux échecs de la politique russe des Etats-Unis », soulignait Craig Nation, professeur au Collège de guerre de l'armée aux Etats-Unis dans une note publiée par le centre Russie-NEI de l'Ifri (1). Cette crise a en effet montré « à quel point il était risqué d'entretenir avec la Russie une relation fondée sur la confrontation ».

Mais, paradoxalement, ce réchauffement reste fragile. Les suspicions des deux côtés n'ont pas disparu. Sans accorder plus d'importance aux révélations de WikiLeaks, les propos prêtés au conseiller diplomatique du président Sarkozy, Jean-David Levitte, lors d'une rencontre en 2009 avec des diplomates américains, sont révélateurs d'un certain état d'esprit. Moscou aurait ainsi tendance à considérer qu' « un bon voisin est un voisin totalement soumis ».

De plus le dégel actuel n'est pas une première dans l'histoire des relations entre les deux blocs d'autrefois. Devant les sénateurs, à Paris, l'ambassadeur de France à Moscou Jean de Gliniasty (2), distinguait quatre périodes d'ouverture : la première sous Gorbatchev, la deuxième avec Boris Eltsine, la troisième après les attentats du 11 septembre 2001 et celle en cours depuis plusieurs mois. Si les trois premières ont échoué, le diplomate considérait la quatrième, en cours, comme « durable et irréversible ».

Pourtant il n'est pas encore certain qu'elle arrive à bon terme. Car la principale condition est d'ordre politique. Le Sénat américain n'a toujours pas ratifié le nouveau traité sur la réduction des armes stratégiques (START) conclu par Washington et par Moscou. Certes cette ratification ne serait qu'un petit pas vers l'élimination des armes nucléaires. Mais un très important signe de détente envers Moscou. Or la victoire républicaine aux élections de mi-mandat de novembre augure mal d'une rapide ratification d'un traité cher au président démocrate. En outre, le nationalisme russe n'a pas disparu. Et, récemment, le Premier ministre Vladimir Poutine a menacé d'une nouvelle course aux armements si l'Otan et la Russie ne parvenaient pas à s'entendre sur un système de défense antimissile. Du coup, le balancier entre la Russie et « l'Occident » est loin de s'être arrêté et peut à tout moment repartir de l'autre côté.

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