Julien Assange et WikiLeaks contre l'Amérique. Inimaginable il y a seulement dix ans, avant l'essor fantastique qu'ont connu les outils planétaires de communication électronique. Dans notre monde interconnecté, la puissance est démultipliée comme jamais. Un tout petit « incident » peut générer une tempête. On trouve là une illustration de ce que les scientifiques ont appelé « l'effet papillon », en l'appliquant à la météorologie.
En 1972, le climatologue Edward Lorenz posait la question suivante : « Un battement d'aile de papillon, au Brésil, peut-il provoquer une tornade à New York ? » Depuis lors, il a été établi que la réponse était non, parce que la nature de l'atmosphère avait un effet d'atténuation. En revanche, Internet joue un rôle de levier et de démultiplicateur. L'initiative d'un individu, si elle entre en résonance avec les préoccupations ou les émotions d'un grand nombre, peut faire trembler tout le « système ».
C'est précisément le rapport au « système » qui pose problème. Les liens communautaires, sociaux, culturels ont perdu de leur force par rapport à la revendication de l'autonomie absolue de l'individu. Certes, cette autonomie n'est pas aussi grande que nous nous la représentons, et les réseaux sociaux représentent une nouvelle façon de se raconter à des « amis ». Mais elle est si largement mise en spectacle par la culture de masse qu'elle est devenue une revendication majeure. Dans ces conditions, il apparaît à beaucoup que le « système » - c'est-à-dire toutes les grandes formes d'organisations institutionnelles ou économiques - menace l'individu.
Le « système » présente de réels défauts, mais le désigner comme « système » est aussi une manière pour l'individu de nier qu'il en est partie prenante, d'une façon ou d'une autre. Si l'individu conçoit sans peine d'en tirer des avantages et des bénéfices, il refuse d'en pâtir, et surtout, devant les dimensions dudit « système », il pense qu'il est impossible de l'aménager, de le réformer. Les « responsables » politiques ou économiques, eux-mêmes, semblent souvent ne pas avoir les moyens ou la volonté de rectifier les dérives et les erreurs de la machine globale...
Il est tentant pour un individu qui décèle une faille stratégique de partir en guerre contre « le système ». Effets assurés : la communication « en temps réel » a pour ressort l'émotion et l'indignation. Le temps de la compréhension est autre, de même que celui de la responsabilité, qui pèse les conséquences multiples des actions que l'on va engager. Dès lors gare aux effets collatéraux ! L'exemple de la proposition - heureusement non suivie d'effets - d'Éric Cantona est très parlant. Que nous ayons des griefs envers les banquiers est évident. Mais les « punir » en effondrant le système, et notamment en paralysant tous les moyens de paiement dont nous usons quotidiennement, aurait mis tout le monde en danger, en commençant par les plus fragiles.
L'individu en guerre contre le système peut donc déclencher une catastrophe pire que ce qu'il dénonce. Contre les justiciers pyromanes - qui agissent essentiellement dans les sociétés démocratiques et de libres marchés - existe-t-il un antidote ? Le bon sens et un peu de recul peuvent « calmer » les effets démultiplicateurs de l'émotion. Sinon, la défiance généralisée sera l'héritage de ce que Guy Debord appelait « la société du spectacle ».
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