TOUT EST DIT

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mercredi 15 décembre 2010

Justice et politique:
un perpétuel recommencement


Le procès de Jacques Chirac, l'affaire Clearstream en appel avec Dominique de Villepin, l'Angolagate qui revient sur la scène judiciaire dès le mois de janvier, les suites de l'instruction du dossier Karachi… Le tout sur fond de début de campagne présidentielle, de réforme de la justice et de climat de plus en plus tendu entre le gouvernement et les magistrats… L'année 2011 s'annonce particulièrement chaude sur le front politico-judiciaire. Nouvelle bataille dans la guerre à laquelle se livrent depuis des lustres juges et hommes politiques ? Règlement des comptes de l'ère Chirac ? Quoi qu'il en soit, la justice doit rester le plus loin possible des querelles intestines, et pour cela elle dispose d'une arme apparemment implacable : le droit.


En renvoyant Jacques Chirac, devant le tribunal correctionnel, la juge Xavière Siméoni a résumé le problème : la « situation particulière de Jacques Chirac, son âge, sa renommée internationale, son statut actuel, doivent-ils s'opposer à un renvoi ? La réponse ne relève pas du choix du juge », dit-elle dans la longue ordonnance qui renvoie l'ex-président de la République devant le tribunal correctionnel pour 21 emplois supposés fictifs, alors qu'il était maire de Paris (1977-1995). La juge tranche : un magistrat instructeur ne répond qu'à une seule règle, l'article 179 du Code de procédure pénale, qui dispose que « si le juge d'instruction estime que les faits constituent un délit, il prononce le renvoi de l'affaire devant le tribunal correctionnel ». Une façon de dire qu'un juge se doit de ne pas entrer dans le jeu politique. L'ancien président de la République comparaîtra donc devant le tribunal correctionnel de Paris pour le financement présumé illicite du RPR. Après un accord financier avec l'UMP, la Mairie de Paris s'est certes désistée de sa constitution de partie civile. Mais ce sera la première fois sous la V e République qu'un ancien chef d'Etat sera jugé en correctionnelle.


Les juges se sont aussi efforcés de se maintenir loin du chaudron politique dans le procès de l'Angolagate, qui viendra en appel du 19 janvier au 4 mars. En première instance, le tribunal a jugé illégales des ventes d'armes à l'Angola, alors en pleine guerre civile, sans autorisation de l'Etat français. Au total, 36 personnes ont été condamnées, parmi lesquels, outre les deux associés, Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak, on compte également Jean-Christophe Mitterrand, l'ancien préfet Jean-Charles Marchiani et Charles Pasqua. Condamné à un an de prison ferme dans cette affaire, l'ancien ministre de l'Intérieur et sénateur prétend pouvoir « faire trembler les personnages de la République ». Dans sa ligne de mire : Chirac, Balladur et Juppé qui « étaient forcément au courant ». En première instance, le juge Jean-Baptiste Parlos avait su résister au grand déballage… et aux pressions politiques. Juste avant l'ouverture du procès, le ministre de la Défense de l'époque, Hervé Morin, avait rendu public un courrier dans lequel il affirmait « que, en l'absence de transit par le territoire français, la législation relative aux opérations de ventes d'armes et de munitions […] ne s'appliquait pas, aux dates retenues par le dossier de l'instruction, à l'activité exercée par M. Pierre Falcone ». En clair et pour mettre fin aux « malentendus entre la France et l'Angola », il n'y avait pas matière à procès. Las… les deux associés Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak ont écopé de six ans de prison ferme. Depuis, l'ex-homme d'affaires, qui a fait appel, n'en finit pas d'agiter ses réseaux du fond de sa prison pour dénoncer un « acharnement judiciaire ». Les juges, eux, restent impassibles, sans état d'âme. Après avoir ordonné son maintien en détention à plusieurs reprises, ils viennent encore une fois de le décider dans une autre affaire -pour fraude fiscale cette fois -dans laquelle Pierre Falcone avait été condamné.


Reste Clearstream, dont le procès devant les juges de la cour d'appel de Paris se tiendra du 2 au 26 mai 2011. Dominique de Villepin est poursuivi pour « complicité de dénonciation calomnieuse ». « Je suis ici par la volonté d'un homme », s'était insurgé l'ancien Premier ministre, faisant allusion à Nicolas Sarkozy, partie civile en première instance. Là encore, ce procès était une première : un président de la République en exercice, garant de l'indépendance de la justice, ayant la haute main sur les nominations de magistrats et bénéficiant d'une immunité pénale pendant toute la durée de son mandat, soutenait une accusation contre un adversaire politique… Dominique Pauthe, le président de la 11 e chambre correctionnelle avait fini par renvoyer les deux protagonistes dos à dos : si la relaxe de Dominique de Villepin fut un revers politique pour Nicolas Sarkozy, le jugement rendu a, dans le même temps, sévèrement égratigné l'ex-Premier ministre. Une manière pour les juges de rappeler sèchement aux hommes politiques d'aller régler leurs duels électoraux en dehors des prétoires.


Dernier exemple en date, l'instruction liée à l'attentat de Karachi -qui avait causé il y a huit ans la mort de quinze personnes, dont onze salariés français de la Direction des Constructions Navales (DCN) -ravive les plaies de la guerre Chirac-Balladur, sur fond de soupçons de corruption en marge de contrat d'armement. Le dossier s'avère complexe et réunit tous les ingrédients qui font les enquêtes longues et épineuses : secret-défense, rétrocommissions, intermédiaires, diplomatie parallèle… Dans la nouvelle épreuve de force entre le juge et le politique, on ne saurait reprocher aux premiers de chercher à se dresser un rempart juridique, même illusoire, en se drapant dans une norme forcément soumise à interprétation. Les seconds, eux, préparent déjà la riposte en affûtant la réforme de l'instruction tout en gardant la haute main sur le parquet.

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