Nous sommes le camp du bien et une chaise vide le prouve, que l’Occident a vénérée à Oslo, en honorant Liu Xiaobo, le Prix Nobel de la paix empêché, notre saint… Pendant ce temps, Julian Assange, notre diable, croupit en prison à Londres, accusé de viol par la prude Suède, au risque du doute et de la manipulation. Mais les gens sérieux qui nous gouvernent en frémissent, voulant Assange coupable, l’espérant brisé, pour que se taise WikiLeaks, pour qu’y réfléchissent tous ceux qui prétendraient troubler les vérités officielles.
D’une prison l’autre et toutes se valent ? Il est des coïncidences de vocabulaire perturbantes: c’est pour "subversion au pouvoir de l’Etat" que Liu Xiaobo est emprisonné. Précisément ce que pratique WikiLeaks: une oeuvre subversive contre nos Etats, et leurs étouffements, en Irak ou ailleurs… D’un Etat l’autre et il ne fait jamais bon chatouiller les puissants?
La comparaison est odieuse? Mais elle existe, elle est dite. C’est Poutine qui en a joué, terrible Russe avec qui nous commerçons pourtant sans frémir, complice de la Chine pour mépriser Liu Xiaobo, mais qui se pose en défenseur d’Assange pour nous ôter notre supériorité morale. Ce culot? Mais Poutine n’est pas seul. Le Brésilien Lula aussi, un démocrate, quel démocrate!, nous réclame la liberté pour Assange… Et avec eux des manifestants partout dans le monde, et ces jeunes gens qui piratent les sites Internet des puissances d’argent complices de l’étouffement de WikiLeaks. Jeunes indignes ou indignés, justement? Idiots utiles de Poutine et de la Chine? Ou frères plus chanceux des internautes chinois, qui utilisent le Web pour entrapercevoir la liberté, comme des internautes, ici, en espèrent un peu de vérité? Ils existent. L’un d’entre eux, âgé de 16 ans, a été arrêté aux Pays- Bas. Un adolescent en prison, sommes-nous cela?
L’Occident n’est pas la Chine, Assange n’est pas Liu Xiaobo et l’enjeu de WikiLeaks ne vaut pas la question démocratique en Chine. Mais cette distinction ne clôt rien. Nos valeurs sont supérieures, mais en sommesnous dignes? Comme dans les années 1960-1970, une génération se lève, conscientisée en marge de la vieille politique – la contreculture alors, le Web aujourd’hui – et cette génération ne se satisfait pas d’un monde occidental gargarisé de sa propagande. Et l’Occident ne peut pas impunément célébrer les dissidents d’en face tout en commerçant avec leurs persécuteurs, et en matraquant, chez lui, ceux qui le contestent, ou testent ses principes…
Il y a quarante ans, le monde libre vibrait aux dissidents soviétiques, mais la CIA du monde libre faisait renverser Allende au Chili, et les flics des pouvoirs brisaient les reins des gauchistes. Aujourd’hui, un ministre français, Besson, décrète WikiLeaks "criminel", un ministre américain, Gates, se réjouit de voir Assange emprisonné, on prend l’étranger en bouc émissaire de nos sociétés… On copine avec Poutine, mais Sakineh et Liu Xiaobo sont nos excuses et nos icônes, nos prétextes aussi. Peut-on se contenter de ne pas être chinois?
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