TOUT EST DIT

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samedi 4 décembre 2010

Berges de la Seine :
et si on enlevait le haut ?

Autrefois domaine privilégié d'interactions sociales, l'espace public urbain est devenu le théâtre d'une compétition très disputée pour l'appropriation du territoire. Cohabitent difficilement, sur un espace contraint, une diversité d'usages et d'usagers, aux besoins et aux rythmes différents et souvent antagonistes. L'aménagement des espaces publics, tout à la fois lieux stratégiques de circulation, de lien social, d'activités économiques, d'image et de communication, est devenu un véritable casse-tête pour les villes, dépassées par les aspirations et les pratiques contradictoires. La complexité est telle qu'il y a nécessité à aborder les enjeux dans leur globalité.

Or, aujourd'hui, on se contente trop souvent de compiler les exigences des différents opérateurs, publics ou privés, avec les demandes exprimées lors de réunions de concertation désormais incontournables. Cette logique d'accumulation va de pair avec une spécialisation de l'espace qui reste pensée sur un mode défensif : séparateurs, potelets, panneaux d'interdiction, passages protégés, etc. Résultat, la somme des aménagements n'aboutit pas à une cohérence globale.

A cet égard, l'aménagement des berges de la Seine actuellement proposé aux Parisiens est emblématique de cette façon de procéder. Elaboré en interne par les services de la ville et l'Atelier parisien d'urbanisme, le projet propose des zones d'activité dans lesquelles on trouve un cinéma en plein air, des îles artificielles, des parcours pédagogiques, des cafés, une boîte de nuit, des terrains de volley ou de pétanque, des barges végétalisées… La liste est longue et la concertation invite les Parisiens à amender cette liste, qui fait déjà figure d'inventaire à la Prévert.

Restituer aux berges leur statut d'interface entre la ville et le fleuve est nécessaire ; mais pourquoi cette frénésie à vouloir divertir et occuper coûte que coûte les Parisiens déjà placés sous stimuli permanents ? De peur que l'ennui ne les guette ? Un espace non fonctionnel, un peu de presque rien, pour le simple plaisir d'être présent, là, au bord de la Seine, suffirait pourtant à les combler. Transformer les berges en parc d'attractions, dont certaines concédées au privé seront payantes, relègue l'usager-citoyen au statut de consommateur d'espace. On peut craindre que cette offre pléthorique ne dissimule en réalité l'absence de véritable vision pour la ville.

Bien sûr, on se félicite de la disparition programmée, certes partielle, de ces autoroutes urbaines, symbole de la ville livrée aux voitures. Mais c'est aller un peu vite en besogne car quelques mètres plus haut, malgré les efforts accomplis, la voiture reste omniprésente.

Avec l'aménagement des berges, la circulation sera sensiblement plus dense sur les quais « hauts ». Mais n'est-ce pas sur ces quais de Seine, dits hauts, que l'on trouve la mixité des usages et des activités, des cafés, des restaurants, des pépiniéristes, des libraires, des oiseleurs, des passants… ? Inutile de faire de nouvelles listes ; tout est déjà là, la vie est là, la beauté de Paris en prime. Imaginons les quais hauts débarrassés des voitures qui noircissent les façades du Louvre, ces grands axes de circulation où il ne fait plus bon flâner, restitués aux Parisiens. N'est-ce pas à cet endroit, et donc au-delà, que se situe le véritable enjeu ?

Avec le projet d'aménagement des berges de la Seine, on fait l'économie d'une véritable réflexion sur l'espace public de demain. On intervient sur un espace déconnecté de la ville pour ne pas avoir à la penser dans son ensemble. On y investit une telle charge qu'on va même gagner sur le fleuve l'espace qui manque à cette grande ambition.

Seules des approches transversales portées par des logiques de projets permettront de transcender les différents intérêts catégoriels et de proposer des modèles d'aménagement à la hauteur des enjeux. Où sont les architectes, les urbanistes, les paysagistes, les designers, les sociologues, les philosophes ou les anthropologues dans ces projets d'aménagement ? L'espace public doit faire l'objet d'un véritable débat citoyen qui convoque les acteurs, les penseurs et les concepteurs de la ville.

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