lundi 8 novembre 2010
L'Argentine, du péronisme au kirchnérisme
Chaque fois qu'elle parle de Nestor Kirchner, président de centre-gauche de l'Argentine de 2003 à 2007 décédé mercredi 27 octobre, son épouse, Cristina Kirchner, actuelle chef de l'Etat, revendique son héritage et s'inscrit dans sa continuité. Lundi soir, en larmes à la télévision argentine, elle a juré « d'honorer sa mémoire ». Mardi, à l'occasion du lancement d'une nouvelle Renault, visiblement émue, elle a défendu le modèle économique mis en place par son compagnon. Lors de l'inauguration d'une usine pharmaceutique, mercredi, elle a salué « celui qui a cru que ce modèle de pays allait apporter le bonheur à tous les Argentins ». En quelques jours, la présidente a ainsi douché les espoirs de ceux qui pensaient que, après la disparition de son principal conseiller, avec qui elle gouvernait l'Argentine en tandem depuis sept ans, quelque chose allait changer dans le pays, en tout cas sur le plan économique. Tirant notamment des conclusions de l'absence à la veillée funèbre de certains hommes politiques, des analystes spéculaient sur un assouplissement du style présidentiel. Au lendemain du décès de l'ancien dirigeant, la Bourse de Buenos Aires et les bons du Trésor argentins avaient même fini en hausse.
Las, sur ordre de Cristina Kirchner, les ministres ont eux aussi multiplié les déclarations prouvant qu'il n'y aura guère d'infléchissement de la stratégie gouvernementale. Le ministre de l'Economie, Amado Boudou, a écarté la possibilité d'un ralentissement volontaire de la croissance, jugeant que « l'inflation n'est pas un problème pour la majeure partie des Argentins ». Selon lui, elle ne toucherait que les classes moyennes et hautes. Officiellement, la hausse des prix est de l'ordre de 10 %. Mais des études privées avancent un chiffre deux ou trois fois plus important.
Le même ministre a réitéré le refus de l'Argentine de laisser le Fonds monétaire international auditer ses comptes. Jugé responsable de la débâcle économique de 2001, le FMI a été bouté hors du pays par Nestor Kirchner, qui a remboursé toutes les dettes de l'Argentine envers l'organisme de Washington, fin 2005. Buenos Aires n'est donc pas près de renégocier sa dette avec le Club de Paris (7,5 milliards de dollars en défaut depuis 2001), ni de faire son grand retour sur les marchés financiers internationaux, alors même que le pays est parvenu à un accord de restructuration de sa dette avec plus de 90 % de ses créanciers privés. Il faut espérer que cela ne privera pas l'Argentine d'investissements importants, plus essentiels en tout cas que le TGV Buenos Aires-Rosario-Cordoba. Un projet remporté par Alstom en 2008, mais qui n'a jamais vu le jour faute de financements internationaux.
Une autre conjecture à laquelle se livraient les analystes depuis la mort de Nestor Kirchner a été balayée d'un revers de la main par les fidèles de la présidente : elle concerne le controversé secrétaire général de la CGT, Hugo Moyano, qui contrôle notamment le syndicat des camionneurs, et qui est, à l'heure actuelle, l'un des hommes les plus influents en Argentine. La centrale ouvrière est « la colonne vertébrale » de l'administration de Cristina Kirchner, a tranché Aníbal Fernández, le chef du cabinet de la présidente.
Le message est donc clair : Cristina Kirchner ne va pas changer de cap ni de manière de faire, persuadée que c'est précisément ce qu'attendent d'elle les milliers d'Argentins venus lui présenter leurs condoléances lors de la veillée funèbre de Nestor Kirchner. « Cette mort a ressuscité le kirchnérisme », commente-t-on dans son entourage. La politique dessinée par son défunt mari, que beaucoup considéraient d'ailleurs comme son véritable ministre de l'Economie, a porté ses fruits puisqu'elle a permis à l'Argentine de sortir de la crise remarquablement vite et de croître d'environ 9 % entre 2003 et 2007. L'essor de l'agriculture, du tourisme, du secteur automobile et de la construction, notamment, ont contribué à faire reculer la pauvreté et le chômage. La stratégie des Kirchner repose sur une forte demande intérieure, un excédent budgétaire non négligeable, d'importantes réserves et un taux de change peso-dollar relativement stable, grâce au concours quasi quotidien de la banque centrale.
Mais le modèle kirchnériste, qui est aussi interventionniste, autoritaire et frontal, effraie les investisseurs. L'insécurité juridique et les manières de certains fonctionnaires, comme le secrétaire d'Etat au Commerce, Guillermo Moreno, qui n'hésite pas à prendre son téléphone pour tancer les chefs d'entreprise, ne contribuent pas à améliorer l'image du pays. Selon un rapport de la Cepal, avec 3,9 milliards de dollars reçus en 2009, l'Argentine, pourtant la troisième économie de la région, est descendue au sixième rang des pays d'Amérique latine pour l'investissement étranger direct. Par ailleurs, cette manière de gouverner commence à lasser certaines couches de la population fatiguées des conflits à répétition.
Cependant, avec la mort de son mari, Cristina Kirchner va bénéficier provisoirement d'un regain de sympathie. De plus, on voit mal l'opposition, qui dispose de la majorité au Parlement depuis les législatives de juin 2009, mais qui n'a jamais réussi à en tirer véritablement profit, s'unir enfin. Sauf surprise, la présidente devrait réussir à faire voter le budget 2011. Ensuite, fin novembre, les parlementaires seront en vacances d'été. La fin de l'année s'annonce donc relativement tranquille pour Cristina Kirchner. La véritable bataille devrait débuter à la rentrée, en mars. Le parti de la chef de l'Etat, le Parti péroniste, devra alors se choisir un candidat pour la présidentielle d'octobre. En l'absence de Nestor Kirchner, le seul qui parvenait à faire taire toutes les divisions, la guerre des chefs pourrait avoir lieu et rien ne dit que sa veuve l'emportera. Les choses pourraient alors commencer à changer.
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