TOUT EST DIT

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jeudi 4 novembre 2010

Chômage artificiel

L'exception est devenue une habitude. Lorsque tombe le chiffre mensuel du chômage, celui-ci est, désormais, communément accompagné du nombre des autres demandeurs d'emploi indemnisés : ceux qui exercent une activité réduite, mais sont inscrits à Pôle emploi. Soit qu'ils veuillent travailler plus, soit qu'ils cherchent un autre poste. Les chômeurs au sens strict, ceux qui n'ont aucun travail, sont classés par Pôle emploi en catégorie dite A, laquelle donne le nombre officiel de chômeurs (2,7 millions en septembre). Les seconds sont répartis en deux catégories : B s'ils ont travaillé jusqu'à 78 heures dans le mois, C s'ils ont un emploi d'au moins 79 heures.


Ces travailleurs inscrits à Pôle emploi, qui perçoivent généralement des allocations chômage en complément de leur salaire, étaient 1,3 million en septembre. Présentés, la plupart du temps, comme des chômeurs, ils viennent gonfler la statistique du chômage, accréditant l'idée que celui-ci frappe, en réalité, 4 millions de personnes en métropole. Et, lorsque baisse le nombre des demandeurs d'emploi de catégorie A, l'égale publicité faite au chiffre des B et C entretient l'impression d'un « halo » persistant du chômage. La réalité est plus complexe et il est artificiel de considérer comme « chômeurs » ces demandeurs d'emploi qui travaillent. Ils sont souvent plus proches de l'emploi que du chômage.


Pour « Les Echos », la direction des études de Pôle emploi a réparti les demandeurs d'emploi à activité réduite d'août 2010 selon la durée d'activité (1). Deux enseignements s'en dégagent. Le premier est que la moitié des personnes inscrites en catégories B + C travaillent plus de 90 heures par mois, soit bien plus qu'un mi-temps. Ce n'est certes pas considérable, mais cela les éloigne de la définition rigoureuse du chômeur. Au sens du Bureau international du travail (BIT), notamment, il faut n'avoir eu aucune activité dans le mois.


Le deuxième enseignement est qu'il faut justement cesser d'assimiler les inscrits de la catégorie C à ceux de la catégorie B, dont le rapport au travail n'est pas du tout le même : 40 % des premiers (C) travaillent au moins 120 heures mensuelles, tandis que la moitié des seconds (B) sont occupés moins de 40 heures dans le mois. « Leur situation n'est pas du tout la même », analyse Christian Charpy, directeur général de Pôle emploi.


Cependant, l'idée d'une « grande couronne » du chômage constituée de 4 millions de personnes est alimentée par l'hypothèse, au demeurant intuitivement sensée, d'allers-retours fréquents, entre catégories A, B et C, de travailleurs en situation de sous-emploi chronique, ni vrai chômeurs ni vrais travailleurs. Cette hypothèse est en bonne partie invalidée par les études de Pôle emploi. Pour la première fois, l'organisme de recherche d'emploi et d'indemnisation a quantifié les mouvements entre catégories de demandeurs d'emploi. D'une remarquable stabilité dans le temps (ceux d'août 2010 sont pratiquement identiques à ceux d'août 2009), les résultats mettent en évidence des mobilités d'ampleur plutôt limitée.


Certes, qu'ils soient répertoriés en A, B ou C, une très faible proportion des demandeurs d'emploi (de 6 % à 7 %) quittent chaque mois les fichiers de l'assurance-chômage, et pas forcément parce qu'ils ont retrouvé un poste. Mais le phénomène marquant est, surtout, l'inertie dans la répartition des inscrits à Pôle emploi : 85 % de ceux qui n'ont aucun travail, 47 % de ceux qui travaillent jusqu'à 78 heures et 62 % de ceux qui ont un emploi de plus de 79 heures se retrouvent le mois suivant dans la même catégorie. Seuls un demandeur de catégorie B sur quatre et 13 % des inscrits de la catégorie C figurent en catégorie A le mois suivant. Sans grande surprise, les salariés travaillant moins d'un mi-temps sont les plus susceptibles de se retrouver au chômage.


L'identification de mouvements réels, quoique limités, entre catégories de demandeurs d'emploi peut être analysée moins comme le signe d'une pérennité dans la précarité que comme la manifestation de trajectoires, aussi chaotiques soient-elles, vers des emplois plus stables. Au demeurant, selon ces statistiques de Pôle emploi, les jeunes sont surreprésentés parmi ces demandeurs d'emploi « mobiles » : un sur trois est âgé de moins de 30 ans. Parce qu'ils sont moins qualifiés, mais aussi parce qu'ils sont plus « employables ». En septembre 2009, le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) n'évaluait pas à plus de 5 % la proportion des personnes âgées de 30 à 49 ans « confinées entre l'emploi stable et le non-emploi » (2). Publiée en avril 2008, une enquête de l'Unedic (3) effectuée auprès des demandeurs d'emploi travaillant peu montre que, pour une très forte majorité d'entre eux (81 %), cette activité réduite est perçue comme un tremplin vers un emploi durable, pas vers le chômage.


Loin de ne refléter qu'une hausse du chômage global ou de la précarité, une augmentation du nombre de demandeurs d'emploi inscrits en catégories B et C indique, au moins autant, une mobilité professionnelle synonyme de retour progressif vers des emplois plus stables. L'exercice d'une activité, fût-elle très réduite, introduit une différence de statut et de nature entre chômeur et demandeur d'emploi.


Dans un article publié en juillet 2009 par l'Insee (4), les chercheurs Pauline Givord et Lionel Wilner confirment l'impact des contrats temporaires (lesquels concentrent l'essentiel des activités réduites). Selon eux, des salariés en intérim ou en contrat à durée déterminée (CDD) ont, respectivement, 2,1 et 3,2 fois plus de chances qu'un chômeur d'accéder à un contrat à durée indéterminée (CDI) au cours du trimestre suivant. Ainsi constituent-ils bien « de petits marchepieds vers l'emploi en CDI ». C'est donc à tort que nombre d'entre eux sont assimilés à des chômeurs.

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