TOUT EST DIT

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vendredi 15 octobre 2010

Une crise qui dépasse l'économie


Deux ans après que se fut ouverte une crise financière, avec la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, nous continuons à nous interroger sur la portée de cette crise et les mutations dont elle est l'indice. Parce que nous en mesurons les effets sociaux, nous sommes amenés à nous interroger sur les liens de la démocratie et du marché, et à rappeler que la logique marchande ne peut être imposée à tous les types de « biens ». La santé, l'éducation et la citoyenneté ne relèvent justement pas de cette logique.

C'est autour de ces questions que tournera la rencontre organisée à Rennes, aujourd'hui, par l'Association des Amis d'Emmanuel Mounier, décédé il y a 60 ans. Le thème sera justement : « Penser notre crise ».

Dans la foulée de son maître, Péguy, le fondateur de la revue Esprit posait lucidement la question de l'argent. En faisant de l'argent et de sa logique l'instance ultime de notre vie sociale, de la culture, de la civilisation, notre monde ne court-il pas fatalement à la catastrophe ? En questionnant aussi le sens de la propriété, Mounier affronte nos impasses.

La remise en cause nécessaire, mais non acquise, du pouvoir absolu de l'économie, réduite à la finance sur l'ensemble de la vie humaine, ne peut escamoter l'enjeu crucial des valeurs. Et c'est là une autre ligne de force de la pensée de Mounier, qui travaille à une réorientation de la civilisation à travers une philosophie des valeurs.

Dans l'économie mondialisée, le travail est souvent réduit, comme on le dit de manière révélatrice, au statut de « variable d'ajustement ». Dans cette évolution, c'est le sens même du travail humain, sa dignité, sa participation à la dignité de la personne qui sont rejetés. On relit aujourd'hui avec étonnement les pages fortes de Mounier sur le travail (« Refaire la Renaissance »), sur son rôle essentiel comme intégrateur « vers la communion humaine ». Peu d'auteurs ont dit avec autant de vigueur comment le travail contribue aux fins humaines les plus hautes, sans pour autant réduire l'homme au statut de travailleur.

D'autre part, nous voyons bien que les excès de l'attitude individualiste mutilent la citoyenneté. La mise au premier plan, comme un absolu exclusif, de l'individu rend difficile le fondement légitime des diverses collectivités. Or, on ne dépasse la notion d'individu que grâce à la personne. Celle-ci, dans la pensée de Mounier, consiste à mettre à la base de la réalité humaine la qualité de la relation avec autrui. La personne se réalise dans l'engagement, c'est-à-dire dans la capacité de se dépasser soi-même pour devenir sujet de l'Histoire dans des mouvements collectifs.

La personne n'est rien sans la communauté. Mais celle-ci, dans la réflexion de Mounier, n'a en droit comme limite que l'humanité. Elle est l'instrument de critique et de dévoilement des insuffisances, des défauts de toutes les sociétés imparfaites.

Nous sommes placés devant l'urgence de construire une alternative au « nihilisme contemporain », qui dominera aussi longtemps que la société tendra à « s'enfermer dans la production de valeurs d'échanges ». C'est là, exactement, l'intérêt de revenir aujourd'hui à Mounier.

(*) Président de l'Association des Amis de Mounier, auteur notamment de Emmanuel Mounier, l'engagement politique (Michalon), 2009.

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