TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

vendredi 15 octobre 2010

Les jeunes, les vieux, les riches


Lycéens et étudiants tentés par la grève contre la réforme des retraites. On a compté 400 lycées perturbés mardi 12 octobre, jour de la grande manifestation, en gros 10 % des établissements. L'événement donne le bourdon : des jeunes de seize ans qui se projettent contre leur départ en retraite à 62 ans… Quelle France ! On veut bien comprendre : les lycéens et étudiants ignorent tout du texte sur les réformes, ils manifestent pour manifester, pour louper les cours, pour ce qui est une fête initiatique à la vie politique. Chaque génération a connu ça.


L'intérêt bien compris des jeunes est que la réforme passe. Ils devraient contre-manifester, refuser que les babyboomers repoussent une nouvelle fois les déficits sur leurs épaules. Le sort que la France fait a sa jeunesse depuis trente ans est un pur scandale : mauvaise éducation, impréparation de l'avenir, chômage record en Europe, stages, intérim, CDD… Au-delà du combat devenu politique, le rejet de cette réforme des retraites s'inscrit au registre du même égoïsme générationnel : une fois dissipées les solutions idéologiques selon lesquelles « les riches et les entreprises peuvent payer », si les vieux refusent de travailler plus longtemps, ce seront les jeunes qui régleront la note.


Il n'y aurait rien à dire de plus. Pourtant deux de leurs arguments, ou plutôt deux de leurs slogans, méritent pourtant qu'on s'y arrête, ils disent beaucoup de ce qu'on peut appeler le « tout à l'envers » des raisonnements en France.


Le premier porte sur l'emploi. Les lycéens craignent que si l'on maintient les seniors dans l'emploi, ils n'auront pas de place et devront patienter encore plus longtemps au chômage. Cette idée colle à l'intuition, d'où sont succès. Il y aurait un stock de travail qui serait donné et qu'il faudrait « partager ». Les 35 heures ont été faites selon ce principe.


Il faut dire aux lycéens que c'est une idée fausse : c'est l'inverse qui est vrai. Le travail ne se partage pas, il se crée. La démonstration est facile à faire. Pierre Cahuc et André Zylberberg rappellent (1) qu'en 1962 les autorités françaises tremblent à l'idée que les 400.000 rapatriés d'Algérie vont venir gonfler le chômage puisque on ne compte que 35.000 emplois « vacants » dans l'Hexagone. Il n'en fut rien, les rapatriés ont créé des emplois et l'économie ne s'en est portée que mieux. En 1980, même crainte à Miami lorsque Fidel Castro doit laisser partir 125.000 réfugiés cubains. En trois mois, le taux de chômage y passe de 5 à 7 %… avant de revenir à son niveau précédent. En un an, la ville avait absorbé l'afflux exceptionnel de population : l'équivalent de 2 millions de personnes pour la France. Les économistes ont aussi établi que la baisse de la durée du travail ne créait pas d'emploi : ce fut le cas pour le passage de 40 à 39 heures en 1982 et le chiffre des 350.000 emplois qui auraient résulté des 35 heures en 2000 est sans fondement.


L'idée du partage reste ancrée en France, c'est elle qui a poussé aux préretraites et à bloquer, de toutes les manières possibles, l'entrée des jeunes. Elle va à l'extrême droite jusqu'à vouloir « expulser les immigrés pour redonner du travail aux Français ». Mais elle est fausse. Plus de gens veulent travailler, meilleur c'est. Les lycéens doivent savoir que les seniors maintenus dans l'emploi ne leur piquent pas les places.


L'autre slogan est plus large : il repose sur le sentiment que le monde « capitaliste » va dans le mauvais sens et que les réformes ont pour objectif de démolir les constructions de l'Etat providence les unes après les autres. Ainsi en serait-il des retraites : la réforme va dissoudre le système par répartition et il faut manifester pour le défendre. Que ce sentiment puisse dominer chez les jeunes et dans l'opinion éclaire singulièrement l'échec des élites françaises. Elles n'ont pas su expliquer que les réformes étaient au contraire le moyen et le seul de sauver l'Etat providence.


Il y a beaucoup d'explications historiques et idéologiques à ce « tout à l'envers » : les responsabilités sont partagées entre les politiques, les dirigeants d'entreprises, les médias et tous ceux qui ont un devoir de rationalité, de sérieux, d'exemplarité aussi. Mais sûrement, ici, Nicolas Sarkozy par le rejet qu'il suscite dans l'opinion est un obstacle aux réformes. L'homme de la rupture par rapport à l'immobilisme chiraquien risque de devenir l'homme de la continuité. 
Il lui reste dix-huit mois pour convaincre le pays que les réformes sont bonnes pour tous et pas seulement pour l'élite et les riches.

0 commentaires: