C'est une intrigue à la Agatha Christie dans ses « Dix petits nègres ». Combien seront-ils encore autour de la table du salon Murat dans trois mois ? Qui est sur la liste ? Qui est condamné ? Qui est en sursis ? Qui sera éliminé en premier ? Qui peut survivre ? Qui se suicidera (politiquement) en programmant son effacement avant que ne lui soit porté le coup fatal ?
En annonçant longtemps à l'avance un remaniement ministériel en profondeur sans préciser qui serait sacrifié, le président de la République a utilisé un ressort de roman policier. La cruauté du procédé n'est peut-être pas aussi volontaire qu'on le fantasme, mais il est bien réel. Quoi qu'ils en disent, c'est bien la peur, ou au moins la crainte, qui étreindra les ministres ce matin quand ils se rendront à l'Élysée pour leur premier conseil de la saison.
Peuplées de tant d'incertitudes, les vacances ont été encore moins sereines qu'à l'ordinaire. Malgré les traditionnelles invitations au repos du président, chacun est resté sur ses gardes, prêt à faire preuve de sa fameuse disponibilité « 24 h sur 24 », prêt à saisir l'occasion de se racheter aux yeux du prince. Concentré. Pas de faute, pas de faute !, comme disent les sportifs.
Au palais, le rituel calme et silencieux prévaudra, comme il est d'usage, mais si les états d'âme étaient sonores, le vacarme sombre et tendu des spéculations inquiètes le submergerait. On jauge les chances de maintien de François Fillon à son allure. On scrute le sourire un peu raide de MAM, favorite pour sa succession. On tente de déchiffrer les silences de Jean-Louis Borloo en évoquant son « déjeuner secret » avec Nicolas Sarkozy...
Étrange rentrée, décidément, où se télescopent des forces contraires. La gravité du calendrier ne s'accommode pas forcément avec la précarité ministérielle. Le chef de l'État a peut être voulu galvaniser les énergies en organisant le danger mais peut-on travailler correctement et durablement sur des dossiers aussi sensibles que les retraites avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête ?
Certains ont déjà fait une croix sur leur avenir ministériel et attendent déjà la fin de l'aventure -comme Bernard Kouchner-, d'autres jouent de leur instinct de survie, sans compter ceux, perdus dans le brouillard, qui espèrent un changement de portefeuille. Quelques-uns fayotent, même, mais la plupart sont affreusement mal à l'aise avec l'affaire des Roms et la nouvelle politique sécuritaire façon Hortefeux...
C'est pourtant avec cette équipe usée et en proie au doute que le président a choisi d'aller au bout des dossiers infernaux qui l'attendent. Il va l'achever jusqu'à ce que la page soit tournée, en se disant qu'après il changera tout pour écrire un nouveau chapitre.
Olivier Picard
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