TOUT EST DIT

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lundi 31 mai 2010

Panégyrique d'un bouclier percé

Selon une logique « d'attractivité du territoire », l'article premier de notre Code général des impôts pose solennellement : « Les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 50 % de ses revenus. »

Si la contribution des bénéficiaires du bouclier fiscal aux charges publiques se limitait à la moitié de leurs revenus, même le pharaon n'aurait pu rêver d'une telle ponction de ses sujets : une corvée annuelle du 1 er janvier au 30 juin !

Or ces 50 % ne recouvrent pas la réalité du bouclier fiscal. A titre de simples illustrations, avant même « l'entaille » de la « contribution supplémentaire de solidarité » de 2 % :

- Le bouclier laisse passer les cotisations sociales sans contrepartie, à l'image des cotisations maladie et vieillesse déplafonnées et des cotisations familiales. Dans la plus pure tradition de la novlangue, de telles contributions constituent pourtant clairement un impôt.

- Le bouclier ne protège pas plus de l'inflation. Un exemple simple illustrera cette assertion. Le détenteur d'un contrat d'assurance-vie en euros voit son rendement de 4 % ponctionné en apparence de 50 %. Or, dans une phase d'inflation annualisée de 2 %, pleinement conforme aux objectifs de la BCE, le prélèvement effectué s'élève alors exactement à 100 % du revenu réel généré par le capital considéré !

- Enfin, le contribuable n'en sera pas quitte avec les 50 % de ses revenus apparents. Il aura garde d'oublier, par exemple :

- que sur la partie subsistante de son revenu, sa consommation sera taxée de 19,6 % ;

- que le capital qu'il aura su préserver pourra être ponctionné, au titre de sa transmission, de 40 % tous les trente ans : soit un taux annualisé de 1,33 % ; soit encore 26 % d'un rendement annuel, très optimiste, de 5 % de son capital.

Le coût annuel du bouclier fiscal est estimé à 585,6 millions d'euros. Sa suppression annoncée générera un coût très supérieur mais exceptionnellement diffus, par suite des comportements induits chez les happy few et le commun des mortels.

-Pour les happy few

La suppression pure et simple du bouclier fiscal, non assortie d'une disparition de l'ISF, conduirait la moitié des assujettis au taux de 1,8 % à subir un prélèvement de 90 à 100 % de leurs revenus. Une telle ponction - pratiquée par l'Angleterre préthatchérienne d'Harold Wilson ou la Suède d'Olof Palme -s'accompagnerait d'un risque mécaniquement accru de « votes avec les pieds ».

Dans un cadre européen de liberté des mouvements de capitaux et des personnes, les détenteurs de capitaux, non professionnels, seraient, en effet, conduits à s'interroger, en l'absence de toute « espérance », sur leur choix de résidence, dès lors qu'il leur suffirait de fixer leur domicile à l'étranger pour s'exonérer de l'essentiel d'une charge, ressentie comme confiscatoire.

Or, à l'encontre de l'immense majorité des actifs, les détenteurs de capitaux ne se trouvent pas limités, dans le choix de leur lieu de résidence, par la contrainte de conserver une proximité avec un lieu d'activité. Leur source de revenus peut librement se déplacer à la vitesse électronique des virements bancaires.

Les coûts relationnels et psychologiques induits sont évidents, mais, au-delà, la qualité de vie est-elle si dégradée à Bruxelles, Londres ou Marrakech ?

Sur le plan des talents, les pertes seraient claires pour l'Entreprise France. Sur le plan des recettes fiscales, ces délocalisations s'accompagneraient de la disparition d'importantes recettes budgétaires : TVA, impôt sur le revenu, contributions sociales, ISF et, in fine, droits de succession.

Sur le plan financier, vu de Londres, la France ne saurait représenter plus de 5 % d'une allocation globale de fonds. Les nouveaux conseils de nos exilés fiscaux sont, de plus, naturellement conduits à privilégier les placements financiers de leur propre pays. Par suite, une massive délocalisation de capitaux s'ensuivra, encore accélérée par le souci d'éviter tout risque de localisation en France de « leur centre des intérêts économiques » (au sens de notre législation fiscale).

Dans la compétition internationale, pouvons-nous durablement nous permettre de telles pertes cumulées de talents, de recettes fiscales et de capitaux ?

-Pour le commun des mortels

La crise économique et la génération de déficits publics himalayens conduisent à anticiper une augmentation massive des prélèvements obligatoires, avec ses effets ricardiens (hausse du taux d'épargne des ménages à 17 %…). La suppression du bouclier fiscal donnerait clairement le signal de la disparition de toute limite à une hausse sans fin des impôts directs.

Elle annoncerait clairement aux agents économiques que leurs efforts individuels ne leur bénéficieraient plus que de manière minoritaire, voire marginale. La démotivation induite pèserait sur notre croissance future, la relance d'une consommation privée…

Inversement, l'inscription du bouclier fiscal dans le marbre contraindrait l'Etat à une révolution copernicienne : en envisageant enfin - à l'image de nos « quelques arpents de neige » canadiens (selon l'expression de Voltaire, NDLR) -l'idée que la dépense publique (à 57 %) puisse cesser sa progression continue et gagner en efficacité.

Le Léviathan est-il condamné à l'obésité, assortie d'une croissance lénifiante et d'une population vieillissante ? Les déclinologues à l'emporter ?

PHILIPPE BAILLOT

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