TOUT EST DIT

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vendredi 6 novembre 2009

Le gouvernement s'apprête-t-il à supprimer les prud'homales ?, par Michel Noblecourt

Faut-il supprimer les élections prud'homales ? Ce scrutin par lequel salariés et employeurs élisent, tous les cinq ans, leurs juges dans les conseils de prud'hommes, pulvérise à chaque rendez-vous les records d'abstention. La question est dans l'air depuis que Xavier Darcos, le ministre du travail, a confié, le 28 octobre, à Jacky Richard, conseiller d'Etat, une mission sur "le mode de désignation des juges prud'hommes". Le rapport de M. Richard, qui doit être remis "pour la fin du mois de février" 2010, a pour objectif de "conforter la légitimité de l'institution prud'homale". Mais, déjà, le landerneau s'alarme.
Lors du dernier scrutin, le 3 décembre 2008, où il y avait plus de 19 millions d'inscrits, les prud'homales ont recueilli, une nouvelle fois - et malgré les indéniables améliorations apportées par Xavier Bertrand, alors ministre du travail -, la palme de l'incivisme. Dans le collège salariés, la participation n'a été que de 25,5 % ! Seul un salarié sur quatre s'est déplacé pour aller voter en dehors de son lieu de travail. L'abstention a ainsi atteint 74,5 % !

Plutôt restreinte lors des premières élections, en 1979 - 36,8 % -, l'abstention a suivi une courbe exponentielle : 41,3 % en 1982 ; 54,1 % en 1987 ; 59,6 % en 1992 ; 65,6 % en 1997 et 67,3 % en 2002. La cote d'alerte a été largement dépassée. Ainsi, en trente ans, comme si elle accompagnait le déclin du syndicalisme, l'abstention a fait un bond de 37,7 points ! Une situation paradoxale : les salariés se tournent de plus en plus vers les prud'hommes pour les litiges individuels du travail, mais ils se désintéressent de l'élection de leurs juges. Il en résulte que, avec une telle abstention, le scrutin ne peut plus constituer le test de représentativité syndicale qu'il prétendait être au départ. Il relève davantage du concours de musculation syndicale, où chaque organisation exhibe ses forces pour impressionner le gouvernement et le patronat et, plus encore, ses partenaires et rivaux.

"Cette situation atteint la légitimité de l'institution", écrit M. Darcos dans sa lettre de mission à M. Richard. "Une réflexion sur le mode de désignation des juges prud'hommes est indispensable, souligne le ministre, pour préserver cette juridiction, qui offre un modèle de justice unique reposant sur des juges issus du monde du travail." M. Richard est donc prié de dresser un bilan des prud'homales, et d'"analyser la pertinence et l'efficacité des différentes actions déjà mises en oeuvre pour augmenter la participation des électeurs". "De plus, ajoute M. Darcos, votre mission s'attachera à analyser les autres possibilités de désignation des juges prud'hommes, en tenant compte de la nécessité de maintenir une légitimité de ceux-ci fondée sur l'audience des organisations syndicales."

La solution évoquée consistera-t-elle à supprimer les prud'homales, et à fonder la désignation des juges salariés sur l'audience des syndicats, sur la base de la loi du 20 août 2008 qui avait explicitement exclu ce scrutin pour mesurer la représentativité syndicale ? Cet étrange remède rappelle le précédent de la désignation des administrateurs des caisses de Sécurité sociale. En 1946, le législateur décide qu'ils seront élus par tous les assurés sociaux. En 1967, les élections sont supprimées. En 1982, le gouvernement de Pierre Mauroy les rétablit. Mais il n'y aura qu'un seul scrutin - celui du 19 octobre 1983, avec 52,6 % de votants -, la CGT et, plus encore, la CFDT, ébranlées par leurs mauvais résultats, plaidant pour un retour à la désignation sur la base... des élections professionnelles.

Mais les syndicats sont vent debout contre une suppression des prud'homales. Dans le rapport d'orientation de son 49e congrès, du 7 au 11 décembre à Nantes, Bernard Thibault souligne que "la très faible participation des salariés n'enlève rien à notre satisfaction de voir, malgré bien des obstacles, l'influence de la CGT progresser pour la première fois depuis que ce scrutin est organisé". De plus, les prochaines prud'homales doivent avoir lieu en 2013, année où s'achèvera le premier cycle d'application de la réforme de la représentativité. Les syndicats mal en point ou menacés feront inévitablement de ce scrutin une sorte de vote recours.

L'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) ne verrait pas d'un mauvais oeil l'économie de ce scrutin - qui a coûté 95 millions d'euros en 2008 -, mais elle n'en fera pas un cheval de bataille. Il y a en effet une voie moins radicale, qui consisterait à renforcer les améliorations engagées. Il s'agit d'abord de développer le vote sur les lieux de travail, déjà là où il y a une implantation syndicale - moins de la moitié des entreprises. En 2008, M. Bertrand avait observé que dans les entreprises où le scrutin avait été organisé, la participation avait dépassé les 50 %. Dans les élections aux comités d'entreprise, la participation équivaut (presque) à l'abstention prud'homale : 63,8 % en 2005-2006. Pourquoi dans ce cas ne pas reprendre l'idée de M. Bertrand, qui voulait "développer plus largement le vote en entreprise" ?

Le vote par correspondance a déjà été simplifié. Mais la mission Richard devrait aussi étudier la possibilité d'étendre le vote sur Internet, expérimenté, en 2008, seulement à Paris. S'il fait le choix du statu quo, le gouvernement devra s'efforcer de donner plus de lisibilité à l'objet du scrutin et surtout de rendre visible une campagne électorale qui se déroule en catimini.

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