Entre la hausse généralisée des impôts et la modulation de certaines allocations familiales, les mesures prises par le gouvernement pourraient pousser certains Français à frauder pour s'en sortir.
Alors que le gouvernement a adopté plusieurs mesures se traduisant par une hausse généralisée des impôts, Didier Migaud, le président de la Cour des comptes, a même proposé de fiscaliser les allocations familiales. Avec un taux de chômage supérieur à 10% au quatrième trimestre 2012, les choix du gouvernement peuvent-ils pousser certains Français à frauder pour s'en sortir ?
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Les bras cassés au complet |
Dominique Tian : Effectivement, certaines mesures du gouvernement sont susceptibles d'avoir pour effet pervers d'accentuer la fraude sociale et fiscale chez certains citoyens :
- les mesures prises sur les services à la personne : le gouvernement a restreint le nombre de métiers pris en compte. Il est par conséquent de moins en moins intéressant de recourir à ces services sous forme déclarée. Le gouvernement Fillon avait mis en place des mesures incitant à déclarer ces emplois. Si les déclarations deviennent très coûteuses, il y aura un effet inéluctable sur la déclaration de ce travail.
- la suppression de l'exonération des heures supplémentaire voulue par François Hollande pourrait favoriser le travail non déclaré car certaines personnes pouvaient auparavant travailler plus pour gagner davantage de manière légale.
- de même, s'en prendre aux retraites comme le gouvernement le fait actuellementpourrait favoriser la fraude pour compenser la perte de pouvoir d'achat
- l'augmentation de la pression fiscale généralisée par le gouvernement actuel, développe chez les concitoyens, ce type de comportement
François Taquet : Plus il y a de taxes et d'impôts, plus les individus ont tendance à frauder pour éviter une imposition trop forte ou pour éviter qu'elles diminuent leurs revenus.
Certains Français fraudent pour s'en sortir. La fraude sociale a de toute façon toujours existé et perdure. Les plus concernés sont souvent les chômeurs et retraités qui sont contraints de travailler au noir pour pouvoir arrondir leurs fins de mois. Une étude montrait même que certains retraités effectuaient des travaux non déclarés pour arrondir leurs revenus. Ce que nous rencontrons le plus dans la fraude sociale est de loin la non déclaration de certains travaux de manière volontaire.
Entreprises, particuliers, qui sont les plus susceptibles de frauder pour s'en sortir ?
Dominique Tian : Entreprises ou particuliers, ces deux acteurs fraudent. Entreprises ou salariés, le travail déclaré doit être encouragé. Mais il faut comprendre qu'au-delà de la simple question du coût du travail, c'est avant tout la complexité des déclarations qui pousse certaines entreprises et travailleurs à frauder.
Certains pays comme l'Allemagne ou l'Angleterre sont parvenus à sortir de la spirale de la fraude en accordant plus de souplesse aux entreprises. L'Italie est actuellement sur cette voie. En France, nous faisons systématiquement le contraire, la rigidité devenant de plus en plus pesante que se soit pour les entreprises ou les particuliers.
François Taquet : Contribution sociale généralisée (CSG), Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), le forfait social... le taux de cotisation en France sur les entreprises est extrêmement élevé. Mais il faut noter que le travail au noir et la fraude sociale vont beaucoup plus vite qu'on ne le croit dans les entreprises. En effet, si toutes les heures d'un salarié ne sont pas déclarées ou que des heures supplémentaires sont payées sous forme de prime exceptionnelle, cela constitue une fraude sociale alors qu'il s'agit pourtant de pratiques assez répandues. Le travail au noir a été banalisé puisque toute fiche de paie qui ne correspond pas en intégralité à la réalité du travail effectué est considérée comme du travail dissimulé et donc comme une fraude sociale, même si le travailleur est déclaré.
L'Urssaf lutte contre le travail dissimulé. La fraude sociale émanant des entreprises représente plus que celle issue des particuliers car elles captent les cotisations sociales qui représentent des montants plus importants que les petites fraudes des petits salariés.
Fiscale, sociale... sous quelles formes peut se manifester la fraude chez les particuliers et les entreprises ?
Dominique Tian : François Hollande avait promis d'instaurer une taxe à 75% sur les hauts salaires. Certaines entreprises disposeront par conséquent d'une adresse fiscale dans un autre pays pour échapper à cette taxe. Exemple symbolique : comment les clubs de football feront-ils pour payer une taxe de 75% sur les salaires supérieurs à 1 million d'euros ? D'ailleurs, le gouvernement a déjà fait deux fois machine arrière sur le sujet. De même, si l'on en croit ce qui semble se dessiner, cette taxe serait belle et bien payée par les entreprises. Celle-ci viendrait alors inéluctablement diminuer les résultats de l'entreprise, diminuant ainsi son résultat imposable, ce qui créer un manque à gagner pour l'Etat.
Outre la fraude fiscale, la fraude sociale la plus répandue est le travail au noir, c'est-à-dire le travail non déclaré. Incontestablement, il s'agit de loin de la fraude la plus pratiquée. Cela représente déjà 15 milliards d'euros par an de perte de cotisations selon la Cour des comptes.
Enfin, la fraude sur les prestations sociales est le second recours le plus utilisé en matière de fraude. Elle représente à peu près 5 milliards d'euros par an. Autrement dit, en additionnant la fraude aux prestations et le travail au noir, nous accumulons un manque à gagner de 20 milliards d'euros par an pour les caisses de la sécurité sociale. Pourtant, il n'y a aucune remise à plat du système contrairement à ce que sont en train de faire les Anglais où tout est fait pour que personne ne puisse recevoir autant d'argent en ne travaillant pas qu'en travaillant.
François Taquet : La fraude fiscale, sociale ou le contournement peuvent se pratiquer sous différentes formes mais la principale reste le travail non déclaré. Par exemple, la taxe à 75% risque de se retourner contre les salariés eux-mêmes puisque ces derniers devront payer la part jusqu'au 66,6%, le reste l'étant par l'entreprise si le salaire est supérieur à 1 million d'euro. Les salariés concernés seront incités à se faire payer dans les pays étrangers. Au lieu de taxer encore et toujours, il aurait mieux vallu interdire ces rémunérations comme l'on fait les Suisses.
Quels sont les risques de telles fraudes pour l'Etat français et les finances publiques ?
Dominique Tian : Comme nous l'avons vu, la fraude aux prestations sociales et le travail au noir représentent un manque à gagner de 20 milliards d'euros par an, même si certains estiment que cela pourrait être encore plus. De même, le fait d'avoir une complémentaire obligatoire, une réforme voulue par les accords professionnelles, provoque une pression fiscale supplémentaire pour les entreprise. Dès lors, celui-ci la rend déductible fiscalement. Le manque à gagner sera de 1,5 milliards d'euros pour l'Etat.
Enfin, le rapport de Bertrand Fragonard publié hier (qui préconise de moduler les allocations familiales selon les niveaux de revenus, ndlr) revient toujours aux mêmes conclusions que celles préconisées par le passé et est à ce titre utilisable par des gouvernements de droite que de gauche. Les recettes préconisées consistent à toujours augmenter les prélèvements obligatoires ou à diminuer certaines prestations sociales. Mais à aucun moment il n'est question de revenir sur la gestion du système français afin de réaliser des économies de gestion des caisses, à performances égales, notamment familiales. Autrement dit, nous cherchons toujours plus de recettes mais jamais à diminuer nos dépenses de fonctionnement... Ce rapport n'est donc en rien original et le fond du problème n'est pas abordé, notamment celle relative à la fraude sociale alors qu'elle représente des sommes considérables en France et qu'il existe de véritables réseaux et bandes organisées...
La fraude sociale est aujourd'hui très préoccupante en France, même si ce phénomène se vérifie dans l'ensemble des pays du monde, et le contexte économique actuel n'atténuera pas la tâche. Dans l'hexagone, les fraudes se concentrent souvent sur les allocations familiales ou encore les allocations parents isolés... Mais l'Etat ne dispose d'aucun véritable moyen de contrôler les situations personnelles. Pourtant, plusieurs milliards sont en jeu.
François Taquet : Le manque à gagner pour l'Etat et les finances publiques sont évidement très importants. Plusieurs rapports sont parus sur le sujet mais les chiffres avancés sont à prendre avec précaution dans la mesure où il s'agit d'une fraude, et donc d'une activité difficile à évaluer puisqu'elle n'est pas déclarée.
Il est probable que tous les Français se soit retrouvés à un moment ou un autre dans une situation de fraude ne serait-ce que pour une activité non déclarée, comme celles relatives au babby sitting par exemple. Mais il ne faut pas voir pour autant du travail non déclaré partout et ne pas requalifier trop facilement du travail bénévole en travail non déclaré comme c'est souvent le cas en France.
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