TOUT EST DIT

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jeudi 28 février 2013

Jean-Marc Ayrault : Le planqué de Matignon


Neuf mois qu’il est premier ministre… pour rien ! Absent de tous les grands débats, court-circuité par ses ministres, qui multiplient les “couacs”, il n’est pas parvenu à s’imposer comme chef de la majorité. Au point que se pose, déjà, la question de son remplacement.
Salle des Quatre-Colonnes de l’Assemblée, le 20 février. Un à un les députés socialistes se défilent lorsqu’il s’agit de parler de Jean-Marc Ayrault. Comme s’il était évident qu’aborder le sujet revenait forcément à évoquer les doutes qu’il inspire. À l’issue de… huit tentatives infructueuses (« pas le temps »« pas le sujet »…), l’un d’eux accepte de répondre. Il nous fait promettre de respecter son anonymat et nous donne rendez-vous, le lendemain, dans un café du boulevard Saint-Germain éloigné du Palais-Bourbon. « Hollande a nommé Ayrault pour trois raisons, commence-t-il : parce qu’il voulait absolument éviter Aubry, qu’il souhaitait un premier ministre dévoué qui ne rêve pas de s’installer à l’Élysée, et parce qu’il désirait un numéro deux qui ne soit pas susceptible de lui faire de l’ombre. » Un temps, puis : « Le problème, c’est qu’Ayrault ne lui sert à rien. Pis encore : c’est une nomination que les Français mettent à son passif : les gens se disent : “Hollande n’a même pas été capable de choisir un bon premier ministre !” »
Premier sinistre planqué à Matignon
Porte-parole de François Fillon durant la primaire UMP, le député Jérôme Chartier conteste les commentaires faisant un parallèle entre l’actuel premier ministre et son prédécesseur. « Sarkozy et Fillon se sont cherchés pendant un an, dit-il. En choisissant Fillon, qui ne faisait pas partie de son premier cercle, Sarkozy avait nommé un allié politique, alors qu’Ayrault est un vieux complice de Hollande : il est le plus hollandais des hollandais. Le chef de l’État a fait le choix d’un premier ministre de confort mais cela est préjudiciable à sa majorité. Un premier ministre doit être une valeur ajoutée — ce qu’a été Fillon, alors qu’Ayrault est un serviteur. »
Mais l’erreur de casting, encore aggravée par l’affaiblissement de la fonction de premier ministre avec le quinquennat, n’explique pas tout. « Ayrault est totalement illisible, constate le député UMP Hervé Mariton. Rigueur le matin, dépense l’après-midi : il représente l’incapacité du gouvernement à incarner un discours économique clair. Lui-même est un social-démocrate convenable, mais la réalité du pouvoir dans la majorité se situe à sa gauche. On le voit bien avec les réformes sociétales, ou encore la suppression de la journée de carence pour les fonctionnaires : c’est l’aile dogmatique du PS qui impose sa loi. Ayrault tâche de faire le moins mal possible, mais il dégage une impression de résignation, presque de tristesse. »
Le locataire de Matignon aurait cependant du mal à se poser en victime de Hollande ou de sa majorité. « Il n’a pas pris les épaules de premier ministre,affirme Jérôme Chartier. Il ne s’est pas hissé au niveau de sa fonction. Peut-être changera-t-il, mais pour l’heure le costume de premier ministre semble bien trop grand pour lui. » Flop de son discours de politique générale, interventions insipides lors de ses interviews à la télévision ou des séances de questions au gouvernement… : l’homme apparaît totalement dénué de charisme. Transparent. Tout un symbole : neuf mois après sa nomination, pas moins de 11 % des Français, sondés par l’institut LH2, sont “sans opinion” sur lui !
Circonstance aggravante : lorsque ces mêmes Français le jugent, le résultat est encore plus calamiteux — 60 % d’opinions négatives en moyenne. En cause : son action, ou plutôt sa non-action.
Car, plus que tout, le premier ministre est un grand absent. Plus spectateur qu’acteur, Ayrault l’est de tous les grands débats : la guerre au Mali, sur laquelle n’interviennent que le chef de l’État et ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères, le “mariage pour tous”, qui a vu Christiane Taubira et l’aile gauche du PS truster tout l’espace, et surtout la crise économique, sujet d’inquiétude numéro un des Français. « Quand on pense, s’offusque notre député PS, que c’est Fabius qui a annoncé que l’objectif de croissance ne serait pas atteint ! » Même silence sur la hausse de la fiscalité, la polémique Titan-Goodyear, les propositions de Peillon sur le rythme et les vacances scolaires… Et lorsqu’il intervient, c’est sans cap, sans ligne. Sa réaction après les retoquages par le Conseil constitutionnel de la taxe à 75 % et de la loi sur le logement ? Celles-ci seront « représentées » — sans plus de précisions. Taiseux, il n’en multiplie pas moins les bourdes. Bourde dogmatique lorsqu’il juge « minable » l’exil fiscal de Gérard Depardieu. Bourde stratégique lorsque, le 29 janvier, une fuite organisée par son cabinet annonce « une initiative imminente » en faveur du droit de vote pour les étrangers — retombée depuis aux oubliettes, mais ayant cristallisé en même temps les regrets de son aile gauche et l’opposition de la droite.
« Un chef doit cheffer », avait coutume de répéter Chirac. Le premier ministre, lui, se contente d’imposer des brimades à ses ministres… en coulisse. Ces derniers sont vent debout contre Ayrault et son directeur de cabinet, Christophe Chantepy, qui multiplient les vexations à leur égard : obligation de transmettre pour relecture leurs réponses aux questions d’actualité, le “je” remplacé par “le gouvernement” dans leurs communiqués de presse, les sujets abordés au cours du déjeuner mensuel du gouvernement entièrement calibrés à l’avance… De mémoire de députés, il est aussi le premier ministre qui s’exprime le plus souvent, au détriment de ses ministres, lors des séances de questions au gouvernement — 20 à 25 % en moyenne du temps dévolu aux réponses !
Problème : celui-ci a beau multiplier les coups de règle sur les doigts, il n’est pas obéi. « Ce premier ministre n’a aucune autorité, son gouvernement va à vau-l’eau », accuse Laurent Wauquiez (lire notre entretien page suivante). À chaque semaine, ou presque, son “couac” : des déclarations de Duflot et Peillon en faveur de la dépénalisation du cannabis jusqu’à l’annonce, ce 21 février, de la (fausse) libération de nos otages au Cameroun par Kader Arif, ministre des Anciens combattants, en passant par l’affaire de Florange…
Idem avec les critiques de l’aile gauche du PS, tempêtant contre la rigueur, ou les rebuffades des barons socialistes — Rebsamen, Désir, Aubry, etc. (lire page ci-contre) : pour ou contre la loi anticumul des mandats, pour ou contre le droit de vote des étrangers, pour ou contre un changement du mode de scrutin aux européennes… — jusqu’au maire de Lyon, Gérard Collomb, annonçant qu’il ne mettrait pas en place cette année les nouveaux rythmes scolaires… Quant au débat sur la PMA, finalement inscrit dans le projet de loi sur la famille et programmé d’ici à la fin de l’année, c’est le patron des députés PS qui le lui a imposé : « Je lui ai fait passer un simple message, raconte Bruno Le Roux. Pour le groupe, abandonner la PMA, c’est inadmissible et j’aurais une réaction très dure. »
« Si cela devait continuer, chacun devrait prendre ses responsabilités,c’est clair, c’est net », prévenait Ayrault au mois de mai 2012 ; « Les petites phrases […] qui donnent l’impression d’une division, ça suffit », ajoutait-il en septembre. Des mises en garde qui n’ont rien donné : la cacophonie est aujourd’hui assourdissante. Au point de rendre le premier ministre totalement inaudible.
« Les prises de parole de personnalités fortes de sa majorité ou de son gouvernement, comme Valls et Montebourg, ne lui permettent pas de s’imposer auprès de l’opinion dans sa fonction de premier ministre », décrypte Jean-Daniel Lévy, directeur du département politique & opinion de l’institut Harris Interactive. La “bande des quatre” (Valls, Peillon, Moscovici, Le Foll) était déjà parvenue à imposer son candidat — Harlem Désir — à la tête du PS, contre celui d’Ayrault (Jean-Christophe Cambadélis). Un nouveau groupe a vu le jour, réunissant Taubira, Duflot, Hamon et Arif. Et toujours pas d’“ayraultistes” à l’horizon. Que la situation reste en l’état, et l’actuel locataire de Matignon sera remplacé au poste de premier ministre… sans jamais l’avoir été !

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