La ministre du Logement a annoncé lundi
avoir écrit à l'archevêché de Paris pour lui demander de mettre à
disposition de l'Etat certains de ses bâtiments vides pour héberger des
sans-abris. En voulant régler un contentieux lié aux positions prises
par l’Eglise sur le mariage gay, Cécile Duflot n'oublie-t-elle pas
l'action déjà importante de l'Eglise envers les sans-abris ?
Après avoir annoncé que des
réquisitions immobilières auraient lieu cet hiver sur des bâtiments pour
y loger des sans-abris, Cécile Duflot a demandé, entre autres, au
diocèse de Paris de mettre à disposition certains bâtiments. Que cela
révèle-t-il de la perception française du rôle de l’Eglise catholique ?
Kristoff Talin : Cela
témoigne d’un paradoxe important dans la vision française du rôle de la
religion catholique. La France est plus qu’un pays non confessionnel,
c’est pays de laïcité dure qui a consommé la rupture et l’Eglise et
l’Etat assez tôt dans son histoire. Je crois que le rôle social est
profondément ancré dans l’esprit des Français car c’est une tradition
qui remonte au XIXème siècle et même bien avant avec la mise en place
des premiers hôpitaux. Madame Duflot a utilisé une stratégie
très fine car elle joue sur ce fameux paradoxe entre le fait que les
Français se désintéressent de la religion mais qu’il lui attribue ce
fameux rôle social. Si l’Eglise n’accepte pas elle jouera le mauvais rôle et si elle accepte elle se pliera à une injonction politique.
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Catho de gauche ; Âme noire. |
Gérard Leclerc : Tout
dépend ce que l’on appelle la perception française puisque celle-ci est
différente sur le plan médiatique, politique et populaire. La première
est la démonstration d’une honte déontologique de la part des
journalistes que de relayer ce genre d’information sans y opposer
l’action déjà existante de l’Eglise pour le logement des sans-abris.
Sur
le plan politique il me semble qu’il s’agit essentiellement d’un
règlement de compte lié aux positions prises par l’Eglise sur le mariage
gay et que les politiciens ne se servent de la religion que de la
manière qui les intéresse. C’est un instrument que l’on
sollicite ou que l’on diabolise selon les besoins. Au niveau de
l’imaginaire commun, je crois que les Français associent beaucoup
humanitaire et religion catholique. Dans le cas de Paris qu’évoquait
madame Duflot, les Parisiens voient très bien les soupes populaires et
les distributions de couvertures lorsqu’ils passent devant les églises.
C’est peut-être ça qui représente encore l’Eglise catholique dans les
esprits.
Jean-Claude Barreau : Je crois surtout que les Français ne perçoivent plus l’Eglise catholique. Elle est presque complètement sortie de leur champ de vision idéologique.
Je ne dis pas qu’elle ne peut pas y revenir ni qu’il n’y a plus de
catholiques en France mais simplement qu’elle n’est même pas au dixième
de sa puissance dans les années 60. A l’époque plus de 20% des Français
allaient à la messe au moins une fois par semaine pour seulement
quelques pour-cents aujourd’hui. Elle était plus puissante que le Parti
Communiste et elle drainait de très grands rassemblements de jeunes.
Même les grandes fêtes religieuses comme Noël qui était le ciment de
l’unité religieuses ont été totalement dépossédées de leur dimension
religieuse. On constate malgré tout un certain attachement au folklore
qui entoure l’Eglise catholique et ses bâtiments mais elle a pris une
tournure historique.
Lorsque
madame Duflot évoque la réquisition de bâtiments appartenant à des
personnes morales non-religieuses, on crie au bolchévisme. Pourquoi
n’est-ce pas le cas pour l’Eglise ? Qu’en est-il des moyens des autres
religions ?
Kristoff Talin : Plusieurs
éléments expliquent que les Français soient moins choqués par une
éventuelle réquisition de bâtiments appartenant à l’Eglise catholique
plutôt qu’à des propriétaires « classiques ». Il y a d’abord la
réalité de l’expression de « terreau catholique de la France » et de ce
rôle de protection des nécessiteux qui est attaché par les Français à
l’Eglise catholique. Ensuite, la baisse de fréquentation et la
détérioration de nombreux lieux de culte mène à la conclusion que ces
locaux pourraient être utilisés à autre chose. Pourtant, dès que les
médias parlent d’une église qui va être vendue ou réaffectée, tout le
monde monte au créneau. On retrouve ici le paradoxe entre le désintérêt
pour le culte et l’attachement culturel.
Les autres grandes religions de France ont
effectivement des moyens mais qui ne sont en rien comparables à ceux de
la religion catholique. Notre pays reste composé d’environ 60 % de
baptisés, environ 10 % de musulmans et 5 % maximum pour les autres
grandes religions. Il est donc tout à fait naturel qu’on demande aux
institutions catholiques plutôt qu’à d’autres de mettre à disposition
des bâtiments bien que le diocèse n’ait pas l’autorité pour cela puisque
les bâtiments appartiennent aux congrégations religieuses.
Gérard Leclerc : L’Eglise
catholique est dépositaire d’une histoire qui la lie à la France d’une
manière incomparable aux autres religions de France. Aussi bien
au niveau de la surface sociale qu’immobilière, la religion catholique
possède des moyens incomparables aux autres religions ce qui explique
qu’elle soit à ce point sollicitée et cela semble tout à fait naturel.
D’autres parts, les autres grandes religions, notamment le
protestantisme et l’islam, ont leurs propres associations humanitaires
et caritatives. Et toutes font un travail énorme pour améliorer la
condition des gens les plus démunis de notre pays.
La baisse croissante de l’influence de l’Eglise lui permet-elle encore d’être autre chose qu’une association humanitaire ?
Kristoff Talin : Les
rôles éducatif et médical qu’a pu avoir l’Eglise catholique sont
aujourd’hui totalement assumés par l’Etat. Puisqu’elle n’a plus
officiellement d’implication dans le pouvoir politique depuis 1905, il
ne reste que le rôle social de l’Eglise que j’ai déjà évoqué. Cependant,
celle-ci joue malgré tout un fort rôle de lobbyiste aussi bien par le
biais de l’influence de son dogme que par des techniques beaucoup plus
modernes. Par exemple, certaines congrégations catholiques se
sont constituées des portefeuilles d’actions de société côtées en bourse
puis ont obligé certains dirigeants à se plier à certaines mesures en
accord avec les Évangiles Rien d’illégal dans tout ça bien au contraire
puisque certaines ont réussi à empêcher des entreprises de continuer à
faire travailler des enfants. En 2009, de nombreux candidats aux
élections européennes ont reçu des lettres stipulant que les
congrégations religieuses ne les soutiendraient pas s’ils ne
s’engageaient pas à réduite la dette du tiers-monde. Les catholiques font donc du lobbying par le haut pour compenser l’affaiblissement de leur présence par le bas.
Jean-Claude Barreau : Je ne crois
pas que l’Eglise puisse encore jouer un autre rôle que celui
d’humanitaire qui lui est attribué par la plupart des Français. Certains
diront qu’elle joue encore un rôle éducatif à cause de la vitalité de
l’enseignement privé religieux en France mais c’est une erreur
d’analyse. Il s’agit en réalité de l’expression d’une profonde crise de
l’enseignement public et de la peur de nombreux parents de mettre leurs
enfants dans des établissements fréquentés par des couches sociales
défavorisées et issues de l’immigration. L’incapacité de
l’enseignement public à garantir la réussite scolaire et la peur de la
mixité sociale confortent bien souvent des parents anticléricaux à
mettre leurs enfants des établissements catholiques en pensant les
protéger et leur offrir un meilleur enseignement. De plus, les cours de
religion n’étant plus obligatoires et les enseignants étant presque tous
des professeurs laïcs, même les plus farouchement opposés au catéchisme
n’ont aucune raison de s’en priver.
Gérard Leclerc : Il
semblerait que non. La première mission de l’Eglise catholique est
d’annoncer la bonne nouvelle, celle de la venue du Christ et je crois
qu’en cette période de Noël elle est réussie. Le commandement de la
charité est cependant essentiel dans le credo catholique et une Eglise
qui ne se consacrerait pas totalement au bien de ceux qui en ont besoin
ne serait plus l’Eglise catholique. A l’heure du jugement dernier, nous
serons plus interrogés sur notre comportement face aux nécessiteux que
sur les détails de notre vie sexuelle. Personne ne parle non plus du
fait que l’Eglise est l’organisme le plus investit du monde sur la lutte
contre le Sida en Afrique. Je crois par ailleurs que l’Eglise est très
attachée à la loi de 1905 et à sa liberté. Je ne crois pas
qu’elle souhaite jouer un rôle politique mais qu’elle considère qu’elle a
le droit de participer à part entière, comme les autres religions, aux
grands débats de société.
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