TOUT EST DIT

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vendredi 5 octobre 2012

Les Pigeons: pourquoi ça a marché

Un buzz efficace
Ces entrepreneurs exaspérés sont dans une grande majorité des créateurs de start-up, évoluant dans le numérique. Ils se connaissent et ont l'habitude d'échanger sur les réseaux sociaux, Twitter et Facebook. Alors, quand le mécontentement commence à monter à la suite des premières prises de position publiques dans la presse (cf la tribune de Jean-David Chamboredon sur La Tribune) et sur Twitter, le volume de discussions qu'il génère augmente rapidement. C'est à ce moment là que des pros du marketing viral et des réseaux sociaux (Fabien Cohen, Carlos Diaz, Yael Rozencwajg) sentent qu'il faut organiser ce buzz pour lui donner une autre dimension, pressentant qu'il peut agréger un sentiment général de trahison et de détresse ressenti par beaucoup d'entrepreneurs.
Ils choisissent un nom accrocheur ("les Pigeons"), facilement illustrable, et marqué high-tech (Xavier Niel, qui s'abonne tout de suite au compte Twitter des Pigeons, a traité les clients des trois grands opérateurs de "pigeons" au moment du lancement de Free Mobile, et le terme est resté) ; et un hashtag décalé (#geonpi), dont l'aspect codé a pour effet d'augmenter le sentiment communautaire de ceux qui savent le déchiffrer. Ils créent un compte Twitter et une page Facebook.
Si le buzz est si efficace, c'est aussi qu'il est relayé par des personnalités influentes et médiatiques, comme Marc Simoncini - le fondateur de Meetic-, et parce qu'il porte sur une revendication de fond tout en reposant sur un message ultra simplifié, facilement digérable. Le nombre d'"amis" sur Facebook croît rapidement, grâce à la participation des entrepreneurs et à tous ceux, simples salariés, qui estiment que le gouvernement freine la croissance et la compétitivité en tapant bêtement sur les entreprises. Dès que le sujet devient assez chaud pour ouvrir des négociations avec le gouvernement, les Pigeons décident d'annuler la manifestation prévue dimanche et organisée via Facebook. Laissant sur le carreau les entrepreneurs qui protestaient pour autre chose que la taxation des plus-values de cession.
Un message ultra-simplifiéPigeon (Petit Larousse 96), sens figuré : Dupe, gogo ; plumer un pigeon. C'est mieux que du marketing, de la simplification à outrance. Par la force du message, c'est toute la population des entrepreneurs français qui s'est sentie concernée par le plumage en règle du gouvernement. Pourtant à y regarder de plus près, la mesure litigieuse ne concerne qu'une très faible partie des entrepreneurs. Par le jeu des exemptions et abattements fiscaux, le chiffre de 60,5% qui circule va s'appliquer à ceux qui investissent sur de très courtes périodes dans l'espoir de tirer rapidement des plus-values. C'est aujourd'hui surtout le cas des entreprises de la high-tech. Mais les fameux start-upers qui ont organisé la fronde sont de sympathiques jeunes patrons, si éloignés de l'imaginaire du riche PDG du CAC... Pour eux, plus facile de défendre le sentiment de la persécution de l'esprit d'entreprise. D'ailleurs les auto-entrepreneurs ont été les premiers à rallier le mouvement. Ces derniers protestaient en fait contre l'alignement du niveau des cotisations sociales sur celles des indépendants. Pas grand-chose à voir a priori avec cette mesure de justice fiscale qui veut que les revenus du capital soient taxés à même hauteur que ceux du travail.
Une étincelle dans un contexte explosifDepuis les élections présidentielles, la grogne des patrons ne cesse de monter. Il faut dire que ces derniers devront supporter 10 milliards d'euros d'imposition en 2013, afin de ramener le déficit budgétaire vers la barre des 3% du PIB. Parmi les mesures qui laissent un goût amer aux chefs d'entreprises, il y a bien sûr, la taxe à 75%. Mais ce n'est pas tout : la gauche semble avoir déployé un véritable arsenal pour se mettre les entreprises à dos : alourdissement de l'ISF, suppression des niches fiscales liées à l'ISF, encadrement des salaires dans les grandes entreprises publiques, hausse des prélèvements sur les stock-options, etc. Enfin les auto-entrepreneurs se plaignent d'une hausse de leurs cotisations qui pourraient rien moins que tuer leur régime. Dans ce contexte tendu, le projet de taxation des plus values de cession a mis le feu aux poudres, et entraîné une mobilisation générale particulièrement efficace. Cantonné au départ aux créateurs de start-up, le mouvement Geonpi a vite été épaulé par le Medef. S'adressant par écrit aux députés, sénateurs, maires de grandes villes et villes préfectures, présidents de conseils généraux et régionaux, l'organisation patronale a demandé leur soutien pour obtenir des aménagements : un abattement de 40% sur toute plus-value, l'exonération des plus-values de cessions au-delà de huit ans, etc... Laurence Parisot en a profité pour lancer sa formule choc de racisme anti-entreprise. La droite en a profité elle aussi pour dénoncer une chasse aux patrons. Le gouvernement n'a pas reculé simplement devant les start-up mais devant la pression de l'ensemble des chef d'entreprises.Des relais privilégiés dans les médias
Dès le lundi 1er octobre, la presse s'empare du buzz qui a monté tout le week-end. La presse en ligne notamment (y compris L'Expansion.com), parce qu'elle est à l'affût de tout ce qui bouge sur son média et que ses journalistes suivent les comptes Twitter des entrepreneurs médiatiques. Mais aussi parce que le mouvement simplifie son travail en fournissant une mesure immédiate de la mobilisation, de nombreux témoignages et des argumentaires, tant de partisans que d'opposants. Et puis, la nouveauté de la protestation surprend : même la presse internationale, comme le Financial Times, lui consacre des articles. Les journaux et les sites d'information ouvrent leurs colonnes et leurs pages web à des lettres ouvertes qui alimentent le débat comme celle de Jean-Luc Besset, président fondateur de Live2times, qui prend à partie François Hollande, sur Economie matin. Mais ils passent aussi les frondeurs à la critique et reviennent sur la réalité de leurs affirmations. La consécration arrive le jeudi, en une des Echos avec ce titre : "Fiscalité : l'Elysée recule face à la fronde des start-up". L'heure est désormais au bilan et au décryptage du mouvement comme le fait très bien Le Monde : Pigeons : génèse d'une mobilisation efficace.
Un enjeu budgétaire limitéLe recul rapide du gouvernement est-il vraiment surprenant face aux risques encourus? Car l'enjeu budgétaire de la mesure concernant la revente d'entreprises par les créateurs de start-up est vraisemblablement très limitée. Ce n'est en effet qu'une déclinaison de l'alignement général de la fiscalité du capital sur celle du travail. L'impact sur la cession d'actions et de droits sociaux est censé rapporter au total un milliard d'euros en 2013, chiffre qui comprend ce que paieront de nombreux épargnants, et non des chefs d'entreprises. Sans parler du fond du problème, le jeu n'en valait pas probablement pas la chandelle...


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