La belle Iliana n'est pas encore mariée, mais son père lui a déjà donné le terrain familial, dont elle a fait un joli camping ombragé de cyprès, de palmiers et de vigne vierge. Après un mois de mai catastrophique (moitié moins de fréquentation qu'en mai 2011), les touristes allemands, autrichiens et hollandais ont commencé à revenir. Ils ont compris que le prisme des images télévisées, se concentrant sur les épisodiques violences de rue des manifestations athéniennes, ne reflète pas la réalité de tout un pays. Les graves problèmes économiques de la Grèce et leurs répercussions politiques n'en ont pas fait pour autant un Far West.
À l'égard des étrangers, comme entre eux, les Grecs sont restés courtois, serviables, accueillants. Il n'y a pas ici d'insécurité, ni même de xénophobie palpable. Certes, comme l'a montré le récent succès électoral (7 % des voix) du parti néofasciste Aube dorée, une frange de la population est désarçonnée par l'afflux récent et massif d'immigrés illégaux, musulmans en provenance d'Asie centrale et du sous-continent indien, dont la culture est aux antipodes de celle des Grecs.
En revanche, les immigrés de la vague précédente, issus de la chute du rideau de fer (Albanais, Bulgares, Roumains), sont parfaitement intégrés. Ce sont eux qui ont, il y a vingt ans, remplacé les Grecs dans le travail de collecte des olives ou dans la construction. «Les Albanais, qui sont en général extrêmement travailleurs et consciencieux, nous ont, en plus, apporté leur maîtrise du travail de la pierre, que nous, Grecs, avions perdu au profit du ciment», insiste Lefteris, patron d'une oliveraie modèle et compagnon d'Iliana. La politique environnementale suivie par le gouverneur du Péloponnèse a rendu obligatoire l'usage de la pierre pour les nouvelles constructions.
Les jeunes entrepreneurs que sont Iliana et Lefteris ont grandi à Athènes, ont fait des études supérieures et parlent parfaitement anglais. Une fois payées les mensualités de leurs emprunts bancaires, il leur reste moins de 1000 euros pour vivre. Mais ils ne regrettent en rien la «vie stressante et étouffante» de la capitale. «La vie ici est facile et pas chère, expliquent-ils. Les gens se reçoivent entre eux, font la cuisine ensemble avec les légumes du jardin familial et vont ensuite chanter de la musique traditionnelle à la terrasse des cafés du port.»
La sérénité gaie qui anime les visages des deux jeunes gens n'est pas due qu'à leur qualité de vie. Ils n'ont pas peur de l'avenir. Ils savent que les secteurs dans lesquels ils ont investi - le tourisme de qualité et l'alimentation méditerranéenne - ne mourront jamais. La crise, ils la suivent sur leurs iPhone, mais elle ne les affecte pas frontalement. Elle ne les plonge pas dans la dépression psychologique. Dimanche, ils voteront pour un petit parti libéral farouchement proeuropéen, issu de l'alliance du publicitaire Tzimmeros et de l'ancien ministre des Finances Stefanos Manos, qui, dès les années 1990 préconisa le dégonflement du secteur public.
Contrairement aux bataillons d'électeurs qui ont voté le 6 mai dernier pour Syrisa (gauche «mélenchonniste») ou pour les différents partis de la droite nationaliste, Lefteris et Iliana n'éprouvent aucune haine pour le mémorandum européen. Ce document, rédigé par la troïka (FMI, UE, BCE), exige des réformes drastiques du gouvernement d'Athènes (austérité budgétaire et assouplissement du marché du travail), en échange de la continuation des versements de prêts bonifiés à l'État surendetté. «Les gens n'ont pas de rationalité ici. Ils veulent rester dans la zone euro, ils veulent continuer à profiter de cette Europe qui a tant donné à la Grèce, mais ils n'en acceptent pas les règles!», s'exclame Lefteris.
Une «Grèce rêvée»
Le réalisme des deux entrepreneurs s'explique par le fait qu'ils ne sont pas, contrairement à beaucoup de leurs amis de Gythio, des déclassés. À 55 ans, réceptionniste dans un hôtel, Kiki se sent déclassée, car elle ne gagne que 700 euros par mois, le salaire minimum. Trois fois moins que lorsqu'elle était une guide touristique dans l'Athènes du boom économique qui préparait ses Jeux olympiques. Kiki déteste la loi récente qui a aboli les contraintes des conventions collectives dans le secteur privé (lequel a perdu un million d'emplois au cours des cinq dernières années). Dimanche, elle votera pour Syrisa: «Celui-là, Tsipras, on ne l'a jamais essayé, alors peut-être qu'il réussira mieux que les autres!»Zoi Lyberi, 26 ans, est une autre déclassée. Née dans une famille bourgeoise conservatrice de Gythio, elle est allée faire quatre ans d'études de sciences politiques à Athènes. Ne réussissant pas à trouver du travail dans la capitale après l'obtention de son diplôme, elle a décidé de revenir au village «où, au moins, on est sûr de ne jamais mourir de faim!». Zoi («vie» en grec) survit au smic, comme vendeuse dans la pharmacie de sa mère. En 2009, elle avait voté pour la Nouvelle Démocratie (centre droit), le parti traditionnel de sa famille. Mais dimanche, elle votera pour Aube dorée, le seul parti à entretenir une permanence à Gythio et qui y réalisa l'excellent score de 13 % des voix le 6 mai dernier. Pourquoi ce choix antieuropéen d'extrême droite? Zoi cite pêle-mêle son amour maladif d'une «Grèce rêvée», qui devrait «faire faillite pour repartir à zéro, ne comptant désormais que sur elle-même et sur ses valeurs éternelles», une Grèce débarrassée des étrangers, qu'il s'agisse des immigrés «qui nourrissent la criminalité» ou des technocrates bruxellois «qui nous ont volé notre souveraineté».
Le père Job, prêtre de la paroisse Saint-Georges, l'une des quatre que compte la commune de Gythio, se contente avec beaucoup plus de sérénité de son salaire mensuel de 700 euros, payé par l'État. Il est vrai qu'il jeûne 40 jours avant Pâques, et le mercredi et le vendredi toute l'année. Trois jours par semaine, cet ancien moine du mont Athos donne des cours de musique byzantine et de chant traditionnel, afin d'«améliorer» ses contacts avec la jeunesse du village. La crise? «Avec l'euro, la nation s'est jetée aveuglément dans une folie matérialiste de consommation. J'espère la voir revenir progressivement à davantage de spiritualité!»
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