TOUT EST DIT

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dimanche 6 novembre 2011

"Qu’il dégage, mais qu’on garde l’euro!"

En Grèce, le discrédit des responsables politiques, Papandréou en tête, est à la mesure de l’attachement du pays à l’Europe. 

Arès, dieu de la guerre, fils de Zeus. Qui mieux que les professeurs se souviennent de la grande histoire de la Grèce! Qui mieux que les professeurs peuvent organiser le combat et la lutte! Ce n’est pas Pavlos Antonopoulos qui dira le contraire. Cet enseignant en biologie en est convaincu : la résistance des premiers mois a fait place à la guerre. La pire. Pas celle qui se livre avec des armes et des chars, non, celle des temps modernes, celle qui vous "bouffe" de l’intérieur, qui grignote "âme et dignité", celle qui vous conduit vers le précipice de l’indigence : la guerre économique.
Alors, lui et ses compagnons de lutte n’ont qu’un mot d’ordre depuis des mois : "On ne doit rien, on ne vend rien, on ne paie rien". Pas question de s’acquitter de la taxe immobilière instaurée par le gouvernement le mois dernier. La réunion, ce soir-là, a lieu à Daphni, dans la périphérie de la capitale grecque. Le maire est présent. Complice aussi. Il sait que si les gens refusent de payer, on leur coupera l’électricité. Il compatit et soutient. Quant à Pavlos, il ne craint plus de franchir la ligne rouge. "On s’organise, explique calmement ce fonctionnaire marxiste et syndicaliste de 62 ans. On empêche les employés de l’électricité de mettre en application la directive du gouvernement".

Le spectre du retour à la drachme

La Grèce vient de vivre l’une des semaines les plus folles de son histoire. L’attaque est d’abord venue de l’extérieur, de ce tandem "Merkozy" qui "étrangle chaque jour davantage le pays et ses habitants". Puis, coup de tonnerre : l’ennemi a surgi de l’intérieur, sous les traits du Premier ministre Georges Papandréou lui-même, avec sa proposition de référendum. Sonné, choqué, tétanisé, le peuple grec s’est raidi. La réalité, soudain, a pris la forme d’une interrogation lancinante et angoissante : la Grèce pourrait-elle être exclue de la zone euro? Hormis l’extrême gauche, tous ici repoussent cette idée. Tous devinent que le retour à la drachme, l’ancienne monnaie, signifierait une mort assurée. "Les gens craignent que, si on sort de l’euro, affirme Pandelis Kaspis, éditorialiste au quotidien de centre gauche To Vima, cela se traduise par un effondrement de la classe moyenne. Il y a encore une semaine, nous avons publié un sondage qui indiquait que près de 70 % de la population était en faveur de la zone euro".
Les politiques, en tête, font passer le message. Comme Eva Kaili, députée du Pasok (parti socialiste) qui, au lendemain de l’annonce par Papandréou d’un référendum, a menacé de quitter le navire. "C’était ma ligne rouge, affirme cette très jolie présentatrice télé reconvertie en politique. J’ai pensé, au-delà de ma petite personne, à la Grèce et aux Grecs. Sortir de la zone euro, jamais! Ce serait pire. Nous avons tous perdu 50% de nos revenus ces deux dernières années, mais il faut tenir". À l’extrême droite de l’échiquier politique, le discours ne diffère guère sur l’abandon de l’euro. "Ce ne serait pas souhaitable", reconnaît Makis Voridis, redoutable député du Laos (Alerte populaire orthodoxe), qui s’est dit prêt à discuter d’un gouvernement d’union nationale. L’homme, en élégant costume bleu et chemise blanche, affiche une déconcertante décontraction. Il n’est pas le seul d’ailleurs, ce vendredi soir, dans l’imposante salle du parlement réservée aux députés. Plus tard, dans la soirée, le sort de la Grèce va pourtant se jouer. Mais la commedia dell’arte du petit monde politique grec semble se moquer du temps qui passe. Tape sur l’épaule, accolade, amis et rivaux se saluent en attendant le vote crucial.

Pas de centre des impôts pour payer la taxe

Dehors, loin des fastes d’un gouvernement qui semble ne plus mener le pays nulle part, il y a les gens. Qui hurlent à l’asphyxie, qui ne peuvent ou ne veulent plus payer. Mais qui refusent la sortie de la zone euro. Comme ce chauffeur de taxi qui gagnait encore 1.500 euros il y a un an, et qui désormais vivote avec 500. "C’est ce traître de Papandréou qui nous a mis dans une telle impasse. Qu’il s’en aille, qu’il dégage, mais que la Grèce garde l’euro!" Cet autre commerçant, qui vend des serviettes, torchons et draps aux prix de plus en plus bas, ne dit guère autre chose. "Surtout ne pas sortir de l’euro, ce sera pire. On ne sera arrimé à rien, on va flotter dans le vide le plus dangereux". Électricien retraité de 65 ans, Nicola Voglis, quant à lui, vient tout juste de s’acquitter de la fameuse taxe immobilière : 600 euros, dont il est venu payer une première moitié au centre d’électricité -il n’y a pas de centre des impôts en Grèce. "On a peur de tomber aussi bas que la Bulgarie ou la Hongrie en terme de salaire, souffle-t-il. Si en plus on sort de l’euro…"
La jeunesse, pourtant virulente et toujours présente dans les rues pour toutes les démonstrations de force, se fait, elle aussi, moins assurée sur cette question de la zone euro."Ça n’a pas marché pour nous, c’est sûr, soupire cet étudiant en sciences sociales. Mais quand même, le retour à la drachme, qu’est-ce qu’on peut en attendre? Mais cela ne peut plus durer non plus. Je sais déjà qu’en sortant de la faculté, soit je serai serveur, soit je partirai à l’étranger". Oracle en son pays, Pétros Márkaris, écrivain de polars réputé (*), l’est sans doute un peu. N’a-t-il pas situé son prochain roman dans une Grèce où régnait à nouveau la drachme! "Le climat est au chaos, à la guerre, dit-il. N’oublions pas que le peuple grec est réactif, agressif. Le débat d’idées tombe facilement dans la violence. Il y a cinq ans, on disait : “Quand la vraie catastrophe va arriver…” Nous y voilà, peut-être".
(*) Le Che s’est suicidé, Points Seuil.

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