Londres a l’anniversaire de la reine et son inusable Trooping the Colour. Paris a son Salon de l’agriculture. Parmi les rites de réconfort qu’aiment mettre en scène les vieux pays bousculés par les nations émergentes figure le rendez-vous de la Porte de Versailles.
Hymne citadin au monde rural, la « plus grande ferme de France » tant célébrée joue certainement sa fonction de réassurance collective. Une des icônes de 2011, la jolie vache Vosgienne Candy, en robe haute couture noir et blanc, incarne à merveille ce rôle réconfortant. Avoir sauvé une race bovine de l’extinction réconcilie une certaine France avec elle-même. Et pourtant, comment comprendre que le pays du bien manger soit devenu déficitaire dans certaines filières, dont la viande ?
Au-delà du rituel sociopolitique, la grand-messe de l’agriculture française est l’occasion de s’interroger sur le monde que nous voulons. Il n’est rien de moins naturel que de produire avec régularité, à un bon standard de qualité et à un prix accessible au plus grand nombre la nourriture dont l’humanité a besoin. Qui peut oublier qu’un homme sur six souffre de la faim ? Ou que 18 millions de bébés naissent chaque année handicapés mentaux du seul fait de carences en iode ? Les pays avancés se pensent aujourd’hui à l’abri de la disette. En est-on tout à fait sûr ?
La satiété, voire l’excès, caractérise les économies développées, au point de considérer aujourd’hui l’obésité comme une épidémie. L’agriculture française a fait d’immenses progrès en quelques décennies. Sa part dans le produit national a été divisée par deux en trente ans, comme le nombre d’emplois qu’elle supporte. Mais quelle industrie peut prétendre à un pareil gain de productivité dans la même période ? Une mutation historique qui ne suffit pourtant pas à garantir l’équilibre du bol alimentaire proposé au plus grand nombre.
La planète agricole est terre de tous les paradoxes. Alors que l’on célèbre avec gourmandise l’inscription du repas gastronomique français au patrimoine mondial reconnu par l’Unesco, quelle est la proportion des Français accédant réellement à ce modèle d’équilibre entre bien manger et sociabilité ?
Le modèle productiviste des grandes cultures a conquis la terre entière. Mais après les incendies russes, les inondations australiennes, la sécheresse chinoise et la spéculation commune, les cours des céréales crèvent les plafonds… Un accident climatique de plus et c’est la catastrophe, prédisent certains économistes.
À l’intérieur même du modèle hexagonal, la trame agricole est en lambeaux : les grands céréaliers se frottent les mains tandis que les éleveurs se tordent les leurs. Ils n’en peuvent plus de faire le grand écart, meurent de leur travail. Les prix consentis par l’industrie et la distribution ne couvrent plus les charges, un quart des exploitations porcines est menacé de disparition.
Le ministre Bruno Le Maire a noté ingénument que le bonheur des grandes cultures fait le malheur des éleveurs. On comprend qu’il prie pour qu’un accueil favorable soit réservé au président de la République. Nicolas Sarkozy, bien différent en cela de son prédécesseur, n’avait pas voulu inaugurer l’an dernier le salon, dans un contexte agricole tendu. Porteur d’une rhétorique de la régulation des marchés, le locataire de l’Élysée serait peut-être bien inspiré aujourd’hui d’aller tester quelques idées dans ce registre auprès des exploitants avant de les exposer au G 20.
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