TOUT EST DIT

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lundi 21 février 2011

La Deutsche Bahn ou l'apprentissage de la modestie

Cétait il y a moins d'un an. Interrogé sur les visées expansionnistes de la Deutsche Bahn, sur le point d'acquérir le britannique Arriva, le ministre fédéral des Transports avait donné son assentiment, à une condition stricte, toutefois : « Que la maison soit en ordre ». En clair : que l'opérateur public redonne à ses clients allemands une qualité de service satisfaisante, après avoir connu une série d'incidents embarrassants.

La Deutsche Bahn a bien fini par s'offrir Arriva, pour près de 3 milliards d'euros, mais les voeux de Peter Ramsauer n'ont pas vraiment été exaucés. Depuis qu'il a donné sa consigne, un train rapide ICE a perdu en avril une porte, venue se fracasser contre le wagon-restaurant d'un autre. Au cours de la canicule de l'été, la climatisation a lâché dans plusieurs trains, condamnant des centaines de malheureux à rouler dans une ambiance de sauna. Décembre 2010, froid et neigeux, a provoqué un chaos inédit. La Deutsche Bahn, dans un rapport au ministère des Transports, évoque « certains jours un taux de ponctualité inférieur à 70 % » au cours de cette période. Mais la fondation Warentest, qui s'est concentrée sur les vingt premières gares du pays, conclut, pour sa part, à un taux de ponctualité de 32 % sur les grandes lignes... A peine remis de cet épisode traumatisant, les voyageurs se préparent déjà à de nouvelles perturbations : le syndicat des conducteurs de trains GDL appelle cette semaine à la grève.

Les médias s'enflamment, les associations de consommateurs tonnent. D'autant plus qu'ils doutent de la capacité de la compagnie ferroviaire, assise sur une dette de quelque 17 milliards d'euros, à améliorer rapidement la situation. Le ministre des Finances, nonobstant les récents déboires de la société publique, persiste à lui demander un dividende annuel de 500 millions d'euros, au titre de l'effort national de consolidation des finances publiques. La concurrence s'intensifie sur le marché allemand. Le gouvernement veut libéraliser le marché des liaisons grandes lignes en autobus. En vertu d'une loi des années 1930, la DB était jusqu'ici protégée de la concurrence du bus sur les liaisons qu'elle assure. Il lui faudra, à l'avenir, partager ce marché estimé entre 300 millions et 1 milliard d'euros. Plus grave, la plus haute instance judiciaire du pays, la Cour fédérale, vient de donner gain de cause à l'opérateur Abellio : désormais, toutes les concessions régionales devront être soumises à appel d'offres. La Deutsche Bahn, qui réalise l'essentiel de ses profits dans le transport régional, doit donc se résoudre à voir s'éroder sa part de marché actuelle, de l'ordre de 80 %.

Dans cet environnement de plus en plus concurrentiel, les détracteurs de la Deutsche Bahn réclament un changement de stratégie complet. Un recentrage, après les années d'expansion échevelée, menée, entre 1999 et 2009, sous la houlette d'Hartmut Mehdorn. Ce dernier, nommé par Gerhard Schröder, fait figure de coupable idéal pour expliquer les difficultés actuelles des voyageurs. Il a certes transformé un opérateur ferroviaire en numéro deux mondial de la logistique. Grâce à de nombreuses acquisitions (Stinnes, Bax, EWS), parfois payées bien cher, il a doublé le chiffre d'affaires, de quelque 15 à 30 milliards d'euros, en moins d'une décennie. Vu de l'extérieur, un vrai bulldozer, déterminé à tirer parti de la libéralisation du marché européen. Mais, dans sa hâte à construire un « global player », Hartmut Mehdorn aurait créé sur son marché domestique un « local loser », selon l'expression du magazine « Die Zeit ». Il aurait aussi négligé d'investir dans le réseau et la flotte. Son projet d'introduction en Bourse partielle, arraché à la grande coalition menée par Angela Merkel avec les sociaux-démocrates, l'a conduit à faire des économies coupables. Même Peter Ramsauer, qui a dû rendre des comptes devant les députés, l'a admis. A quelques mois près, la mise en Bourse a finalement échoué, pour cause de crise financière. Mais les partisans d'une Bahn recentrée réclament aujourd'hui des désinvestissements massifs, pour redonner à l'entreprise des marges de manoeuvre. « Depuis plus de cent ans, vous avez une division du travail dans la logistique, argumente Christian Böttger, expert de l'université HTW de Berlin, d'un côté les transporteurs de fret, qui possèdent les bateaux, avions et camions, et de l'autre les donneurs d'ordre, qui organisent la chaîne de transport. La Deutsche Bahn veut tout faire, mais cela ne fonctionne pas, les coûts de coordination et d'organisation sont trop élevés. »

Il ne faut toutefois pas compter sur une cure d'amaigrissement de la compagnie. L'actuel patron de la Deutsche Bahn, Rüdiger Grube, doit annoncer fin mars des résultats encourageants. Le chiffre d'affaires, selon nos informations, a progressé en 2010 de plus de 10 %. Le bénéfice, de près de 10 %. La société se sent forte. Elle se voit -et une bonne partie du personnel politique aussi -comme un rouage important du modèle exportateur allemand. C'est la Bahn qui accompagne BMW, Volkswagen, Siemens, là où sont leurs clients. Quant à la concurrence... Les compagnies de bus devraient lui prendre entre 1 et 2 % du marché grandes lignes : « mini-problème », estime-t-on Potsdamer Platz. La généralisation des appels d'offres ? Les autorités régionales ont commencé depuis bien longtemps à mettre en concurrence les opérateurs. Et l'ancien monopole compte bien se battre. Le récent accord de branche, qui homogénéise les pratiques salariales dans le transport régional, devrait limiter le dumping social. La compagnie promet d'investir massivement dans de nouveaux trains, dans la rénovation des gares.

Ce qu'on peut dire, en revanche, c'est que le temps de la croissance externe est révolu. Peter Ramsauer aurait bien du mal à justifier, politiquement, une nouvelle opération majeure. Après tout, à chaque épisode météorologique exceptionnel, il est en première ligne. Le « Zeitgeist » est à la réduction de la dette. A l'intégration. Retour à la modestie. Au grand soulagement, à n'en pas douter, des autres opérateurs européens.

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