TOUT EST DIT

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samedi 26 février 2011

Aider les peuples à prendre leur essor

Monsieur Kadhafi est une vieille connaissance de la France. Il l'avait déjà visitée, en novembre 1973, pour rencontrer le président Georges Pompidou. Alors déjà quelques cris avaient fusé : « Kadhafi nazi ! ».
Monsieur Kadhafi est aussi un vieux et bon client de la France. En 1969, il nous achète quatre-vingt-deux avions Mirage, modifiés pour conduire des attaques au sol. Puis, en 1973, trente-deux Mirage supplémentaires et, par la suite, bien d'autres armes et munitions. Nous préférions une Libye armée par nos soins, plutôt que par l'URSS, même si l'on courait le risque de voir ces avions utilisés contre nous, au Tchad par exemple...

1982 : à peine un mois après l'instauration de l'état de guerre en Pologne, inspiré par Moscou, alors que celle-ci est en pleine lutte pour retrouver son indépendance, la France signe ce que le gouvernement socialiste de Monsieur Mitterrand appelle « un bon contrat gazier avec l'URSS »...

Janvier 2011 : la France décide de fabriquer quatre navires de guerre Mistral pour la marine russe. Ce qui, bien sûr, inquiète en particulier les pays baltes, ex-républiques soviétiques, de même que la Géorgie. Ces peuples ont en mémoire la déclaration du chef d'État-major de la marine russe, l'Amiral Vissotsky : « Ces navires auraient permis à notre flotte de la mer Noire de faire, en quarante minutes, ce que nous avons fait en vingt-six heures en Géorgie »...

Hésitation de la diplomatie française : le président François Mitterrand se rend à Berlin-Est en décembre 1989, où « il choisit d'apporter son soutien à un pays plus vacillant que jamais » (1). Le Mur de Berlin était pourtant tombé un mois plus tôt : « La diplomatie française et le président de la République n'avaient non seulement pas perçu la force du mouvement engagé dans l'Est de l'Europe et exprimaient ainsi leur réticence de voir une Allemagne réunifiée. » (2)

Ces quelques rappels nous montrent combien notre politique étrangère est faite de contradictions et d'incertitudes, surtout quand, tout à coup, l'Histoire accélère sa marche et surprend tout le monde : les acteurs comme les spectateurs.

Que les démocraties respectentleurs propres valeurs

Nous ne sommes pas particulièrement fiers, aujourd'hui, d'avoir armé un Kadhafi, dont on voit ce qu'il fait des armes qu'il détient. Mais pour éviter de tels errements, il existe un remède radical que nous avons rappelé ici à maintes reprises : suspendre nos ventes d'armement. Ainsi, il y aurait quelques tonneaux de poudre en moins autour du monde et nous ne risquerions pas d'être indirectement impliqués dans des répressions populaires que, bien sûr, nous réprouvons.

Cependant, les démocraties ne sont pas toutes exemplaires en ces domaines sensibles. Ainsi, durant la guerre d'Irak, les États-Unis n'ont-ils pas sous-traité prisons secrètes et interrogatoires sous tortures à certains pays alliés plus ou moins dictatoriaux d'Europe ou du Moyen-Orient ? Et qu'en est-il des démocraties qui font systématiquement fi des motions de l'Onu qui ne leur conviennent pas, par exemple en ce qui concerne Israël et la Palestine ?

Par ailleurs, faudrait-il, comme certains l'imaginent, que les démocraties se gardent de toute relation avec les pays dont les gouvernements sont de type autoritaire, dictatorial, avec tous ceux qui ne respectent pas les droits de l'homme ? Cela paraît plus qu'hasardeux, car ce serait se couper de plus de la moitié des 180 pays du monde.

Mais pour traiter avec ces pays non démocratiques et ceux qui ne respectent pas les orientations de l'Onu, les démocraties doivent se montrer exigeantes, éviter les hypocrisies et les connivences qui conduisent aux petites ou aux grandes compromissions. Elles doivent affirmer leurs valeurs, en commençant par les respecter elles-mêmes. Et puis, bien évidemment, elles doivent être attentives à ce qui monte des peuples asservis, les soutenir autant qu'elles le peuvent dans leur marche vers la liberté, anticiper si possible les conséquences de ces évolutions pour elles-mêmes et pour la paix du monde ; et bien sûr accueillir ces pays libérés, en les aidant à prendre leur essor dans une coopération constructive et pacifique.

(1) Ouest-France du 21 décembre 1989.

(2) François Mitterrand et 1989 : la compréhension incomplète d'une Europe en bouleversements, de Pauline Joris, mouvement Nouvelle Europe, 2008.

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