Moncef Djaziri : « Il y a deux pouvoirs : un pouvoir formel avec des institutions dont le fonctionnement est juridiquement organisé et qui sont incarnées par les Congrès populaires (instances de consultation) avec le Congrès général du peuple (Parlement), et les comités politiques avec au sommet le Comité populaire général (le Gouvernement) : les ministres sont des secrétaires des comités populaires. Parallèlement à ces institutions formelles, il y a un 2e pouvoir informel, appelé « pouvoir révolutionnaire », constitué du « Guide de la Révolution », dont Kadhafi, de quelques conseillers très proches de Kadhafi y compris et selon la conjoncture par tel ou tel fils de Kadhafi, des comités révolutionnaires. Du point de vue du fonctionnement, c’est le pouvoir informel qui impulse et donne les grandes orientations politiques, économiques, etc.
F.-S : Quelle est la situation actuelle du pouvoir après les nombreuses défections dans l'entourage de Kadhafi ?
M.D : Dans la crise actuelle, la situation se présente ainsi : le pouvoir informel ou « révolutionnaire » demeure intact, dans la mesure où Kadhafi n’est pas empêché d’agir et que les comités révolutionnaires demeurent actifs.
F.-S: Comment fonctionne l'appareil sécuritaire libyen ?
M.D: Il y a trois composantes de l’appareil sécuritaire qu’il est difficile de démêler : la police, l’armée et des forces spéciales placées sous le commandement d’un des fils de Kadhafi.
F.-S : Mouammar Kadhafi est-il fou ?
M.D : La question est plutôt la suivante : les actes et les décisions de Kadhafi sont-elles rationnelles ? Du point de vue de la rationalité subjective, Kadhafi est rationnel dans le sens où ses actions et décisions sont dictées par des normes, des jugements et des valeurs personnels ou en fonction de son idéologie. Ce qu’il fait ou ce qu’il a un sens pour lui et pour ceux qui l’entourent. Cependant, ces mêmes actions et décisions peuvent être, et sont parfois, objectivement irrationnelles dans le sens où il ne prend pas en compte les exigences de l’environnement national et international.
F.-S: Combien de temps peut-il tenir au pouvoir ? Jusqu'où peut-il aller pour garder celui-ci ? Qui pourrait lui succéder ?
M.D : Il peut tenir longtemps au pouvoir, en fonction de l’évolution de la situation interne et externe. Il est clair qu’un embargo économique ou une intervention internationale pourraient avoir pour conséquence de prolonger le pouvoir de Kadhafi car ces actions internationales renforceraient la position en Libye et le ferait apparaître comme une « victime » aux yeux de beaucoup de Libyens et aux yeux d’une partie de la communauté internationale. Pour garder le pouvoir, il résistera jusqu’au bout, et comme il l’a dit, jusqu’à « la dernière goutte de son sang ». A l’image des tribus, il mourra sur sa terre et n’abandonnera pas. Pour résister, il utilisera beaucoup de moyens y compris le sabotage des puits pétroliers et il pourrait favoriser l’immigration africaine en Europe, manière « d’inonder l’Europe ».
La question de la succession est le grand problème. Dans un passé très récent, on esquissait l’hypothèse d’une succession dynastique où l’un des fils de Kadhafi, succéderait à son père. Cette hypothèse doit être abandonnée aujourd'hui. Hors de cette hypothèse, et dans le cas d’une vacance du pouvoir, les choses seraient très compliquées car l’opposition n’est pas unie et aucune personne, du moins pour le moment, ne peut prétendre l’incarner et la représenter légitimement.
M.D : L’hypothèse de l’intervention militaire occidentale doit être étudiée très attentivement car elle pourrait aboutir à des conséquences contraires à celles pour lesquelles elle serait organisée. Cette intervention ne pourrait pas mettre fin au pouvoir de Kadhafi parce que c’est un pouvoir insaisissable. Elle ne pourrait même pas conduire « à la capture » de Kadhafi. Par ailleurs, elle provoquerait une forte résistance du côté des tribus fidèles à Kadhafi, voire au-delà. Donc cette hypothèse me paraît peu pertinente.
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