D’accord, d’accord, on a compris : l’indignation et les bons sentiments n’ont jamais fait une politique. Mais comment un esprit rationnel pourra-t-il expliquer qu’un an après le séisme de magnitude 7 qui a ravagé Haïti, Port-au-Prince reste un champ de ruines où 5 %, seulement, des décombres ont été dégagés ? Toutes les justifications du monde ne pourront justifier un tel échec. A quoi bon avoir pleurniché par tonneaux sur le sort de nos malheureux « frères » de la Caraïbe si nous - l’Occident - avons été incapables par la suite de contrarier le destin brutal avec lequel ils doivent composer ?
Ce n’était pas le premier tremblement de terre majeur auquel l’humanité a dû faire face ces dernières années. Mais ni au Mexique, ni en Algérie, ni en Chine, ni même en Indonésie après le tsunami, nous n’avions assisté à un tel décalage entre l’émotion planétaire des premiers jours et le bilan de la reconstruction douze mois plus tard. L’incurie qui a figé l’image arrêtée apparaît d’autant plus scandaleuse qu’on la regarde d’un œil navré mais fataliste.
Les responsabilités sont partagées, évidemment. Oui, les grandes nations se sont mobilisées et l’incapacité de l’État fantôme d’Haïti à prendre en main la situation n’est pas étrangère à l’inaction des autorités qui devaient rebâtir le pays. Mais la condescendance avec laquelle a été considérée l’une des nations les plus pauvres du monde a souvent stérilisé les énergies. Si une catastrophe similaire avait frappé la région de San Francisco ou de Los Angeles, qui aurait admis que les plaies de la tragédie restent ainsi béantes, ouvertes, sanguinolentes. Supportables au point qu’on laisse le choléra et la pourriture y prospérer ? 250 000 morts et 300 000 blessés à Port-au-Prince auraient-ils moins d’importance ici qu’en Californie ?
Bien sûr, on peut se rassurer à bon compte : la mission de réhabilitation était gigantesque, impossible à réussir en si peu de mois. Mais d’emblée le monde a délibérément manqué d’ambition pour Haïti. Les habitants pouvaient bien attendre les dix ans - au minimum - qu’on leur promettait pour remettre d’équerre leur capitale meurtrie… Qui étaient-ils après tout, ces miséreux du XXI e siècle, pour exiger mieux ?
Posés sur de telles bases chancelantes, les projets ont pris tout leur temps. L’action des ONG s’est embourbée dans les méandres d’un Etat inconsistant et les hésitations des pays donateurs. A tel point que les chantiers sont encore, pour la plupart, au point mort. Comme si rien ne pressait quand 800 000 hommes, femmes et enfants dorment encore dans des camps provisoires.
D’une certaine façon, la situation est pire encore qu’au lendemain de cette terrible nuit de janvier 2010 où tout a basculé. Ce matin-là, il y avait l’horreur, partout, mais aussi l’espoir d’un renouveau. Il n’en reste rien.
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